L’ancien ministre Pascal Bodjona est tête de la liste « Ensemble pour le Togo », présente uniquement dans la commune Agoè 1, il vient de signer apparemment son retour dans l’arène politique. Un retour qui suscite tout de même quelques questions.
Pascal Bodjona revient sur la scène politique…à la faveur des élections locales. C’est le lundi 27 mai que sa liste «Ensemble pour le Togo» a été déposée, à 19 heures, soit cinq heures avant l’heure légale de clôture des dépôts. Ce temps long, onze jours après l’ouverture officielle du dépôt des candidatures, est-il la marque d’une décision politique mûrement réfléchie ou tout simplement celle d’un homme pris de court par le déroulement hâtif voire précipité d’un processus électoral qui échappe quelque peu aux acteurs politiques ? Difficile de savoir, mais toujours est-il que les chroniqueurs peuvent prendre date : le 27 mai 2019 à 19 heures, Pascal Akoussoulèlou Bodjona, ancien activiste du Hacame, ancien diplomate du Togo aux Etats-Unis, ancien directeur de cabinet de Faure Gnassingbé, ancien ministre de la Décentralisation et des Collectivités locales, ancien pensionnaire de la Prison civile de Lomé et de la prison de Tsévié, homme politique d’UNIR tombé en disgrâce mais toujours redouté par Faure Gnassingbé, a bel et bien tenté un retour sur la scène politique.
Pourquoi la candidature de Pascal Bodjona est-elle un événement ?
L’ancien ministre de Faure Gnassingbe, ancien numéro 2 du régime, est le spitzenkandidat d’une liste appelée « Ensemble pour le Togo », qui se présente uniquement et seulement dans la seule commune Agoe 1 ; laquelle commune correspond pratiquement – tout est relatif- à l’ancien canton d’Agoe-Nyivé. «Il y a des alliances électorales avec d’autres listes, mais on est présent que dans la commune numéro 1», dit au Temps un de ses proches
En nommant donc sa liste «Ensemble pour le Togo» et non «Ensemble pour Agoè 1», il va sans dire que l’objectif visé n’est pas la mairie d’une commune charcutée, mais bien le fauteuil présidentiel. Agoè 1 ne serait pour lui alors que l’anti-chambre du Palais de la Marina, ou pour quelqu’un qui convoite le fauteuil de Faure Gnassingbe, le Palais de Lomé 2, plus convenable et chic.
Et pourtant, il y a quelques jours, même les plus grands oracles auraient donné Pascal Bodjona pour perdu, en tout cas ils renverraient aux orties ses ambitions d’un destin national. Après sa dernière sortie de prison, Pascal Bodjona a très peu pris la parole en public. Les seules fois où l’on a entendu parler de lui sont des articles de journaux relatant deux rencontres avec le président ghanéen Nana Akufo-Addo, ou les funérailles de sa mère voire sa présence à la célébration d’une fête nationale dans une ambassade à Lomé. L’homme était taiseux le reste du temps.
Ses grands moments de silence sépulcral pendant des périodes cruciales du pays ont été assourdissants. L’ancien ministre ne s’est prononcé ni sur la fermeture de sa chaine de médias LCF/City Fm, ni sur les soubresauts populaires conduits par la C14, ni sur le blocus militaire des villes musulmanes du Nord (sa mère est Tem de Ketao), ni surtout la sortie des miliciens du pouvoir à Lomé. Des moments où il suscitait pourtant des attentes. Ce qui a fait dire en privé à un homme politique que Bodjona redoute encore le pouvoir militaro-civil qui l’a fait embastiller à deux reprises, au point qu’il paraît faible avec les forts, et fort avec les faibles. L’homme politique qui a la prévalence des Togolais est celui qui donne l’impression d’un affrontement direct avec le pouvoir. Ce n’est certainement pas cette impression que laisse l’ancien ministre, d’où un sentiment d’un homme politique coincé, à qui on aurait mis une camisole de force.
Peut-il réussir son coup de poker?
La description de la situation de l’ancien numéro deux du régime répondrait à cette question.
Sa situation judiciaire : Officiellement, Pascal Bodjona est tombé en disgrâce à cause de l’affaire d’escroquerie internationale dans laquelle il serait impliqué. Un homme d’affaires émirati aurait été escroqué de plusieurs dizaines de millions de dollars par Sow Bertin Agba, aujourd’hui en exil, qui serait un proche de Bodjona- «un frère de village». La justice togolaise s’est emmêlé les pinceaux dans cette affaire qui a coûté deux fois la prison à l’ancien ministre. L’affaire n’a jamais été close, le public ne connaît d’ailleurs pas jusqu’à présent les tenants et les aboutissants de cette obscure affaire pour laquelle l’argent du contribuable a été passé par pertes et profits. Pascal Bodjona étant en liberté conditionnelle, l’épée de Damoclès de la justice reste une menace constante suspendue sur sa tête ; à la moindre incartade, il pourrait retourner en prison. Il est donc à la merci du pouvoir.
Par contre, il y a un dynamisme dans sa situation politique qui explique pourquoi l’ancien ministre tente ce coup de poker. Malgré sa dissidence, Pascal Bodjona est toujours membre du parti au pouvoir, malgré son désaveu de la création d’UNIR. D’où le clair-obscur qui entoure sa liste dite « indépendante ».
A l’heure actuelle, il reste pourtant le seul dissident du parti au pouvoir à même de déstabiliser Faure Gnassingbe. Kabyè de Kouméa, à défaut d’un François Boko rendu apatride, l’ancien ministre reste la candidature du Nord que le pouvoir redoute. Dans l’histoire du Togo, aucun dissident civil ni militaire de la junte n’a jamais réussi à aller loin. Ni Dahuku Péré, ni Agbeyomé Kodjo, tous ont été brisés sans rémission possible ; Bodjona pourrait peut-être briser la chape de plomb.
En se présentant aux élections locales, le ministre tente donc un coup poker. S’il réussit à passer entre les mailles du filet de la validation des candidatures par la Cour Constitutionnelle, c’est un chapitre nouveau qui s’ouvre devant lui. On pourra alors parler d’un come-back.
Entrer dans l’arène
Le timing de cette candidature en dit long sur les calculs de l’homme, sa ruse avec le temps. Le temps politique. Ancien ministre de la Décentralisation et des collectivités locales, Pascal Bodjona sait lui-même, pour en avoir été l’un des organisateurs, comment le pouvoir redoute les élections locales, le champ d’adversités et de conflictualités qu’elles sont susceptibles de créer. Il sait aussi que c’est un grand foutoir qui pourrait échapper à qui que ce soit.
La compétition électorale déterminera si celui que l’on pensait être une bête politique et une menace pour Faure Gnassingbe garde toujours son aura, son charisme, sa virulence même. C’est donc en toute logique qu’il se présente dans la commune d’Agoè 1, là où se situe sa résidence. Car cet homme ne pense qu’à une chose : avoir l’occasion de prendre la parole à tire larigot !
«Pascal Bodjona n’a eu de cesse d’être à l’écoute de la base, et il ne pouvait ne pas se mettre au diapason des aspirations des populations. Car pour lui, l’avenir de la politique en général passe par l’écoute assidue de la base », déclare un de ses proches également présent sur sa liste « Ensemble pour le Togo ». « Il fallait absolument son apparition dans le débat politique, en l’occurrence les municipales», ajoute-t-il.
Certes, le processus de décentralisation est dévoyé. Au manque de transparence du fichier électoral, s’ajoute en amont beaucoup d’inconnus : nul n’est en mesure de dire exactement les compétences qui seront transférées aux communes, ni les services organisés, ni les budgets éventuels, etc., sans oublier les sièges devant les abriter. Et pour éviter l’affrontement avec des maires opposants trop puissants des grandes villes, le régime a fait plutôt la politique du salami en charcutant les communes, dans l’espoir de réduire leurs pouvoirs. Au mieux, le régime ne ferait que créer un nombre plus important de délégations spéciales.
Mais, ce faisant, le régime oublie que l’atomisation des communes égale la multiplication des foyers de tensions, et que les maires auront beau jeu d’en être les fourriers. Quoi de plus normal que ce terreau fertile pour cet ancien activiste qu’est Pascal Bodjona, qui apprécie tant le contact humain et le combat. Le terrain, là où ses adversaires au sein du pouvoir savent qu’il est redoutable.
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