Mon discours, quel que soit le ton avec lequel je l’ai écrit, doit émouvoir l’Etat togolais, en ce sens que ma bile va d’abord à lui, pour les innombrables erreurs qu’il n’a cessé de commettre dans la mise en œuvre de sa fameuse politique culturelle dont moi je cherche en vain les actes concrets sinon les pièces à conviction, ensuite à des autorités et autres citoyens acteurs de la promotion des valeurs culturelles dans notre pays.
On serait dans un pays européen, plus proche, en France, que depuis une semaine déjà, sur les media, les débats sur les réformes constitutionnelles et institutionnelles auraient cédé place à des manifestassions ou programmes en hommage à l’un des plus grands hommes que le Togo a connus depuis 1960. Et voilà que les utopiques réformes ont du mal à avoir lieu, mais l’essentiel aussi n’est pas fait…l’essentiel ? Oui, l’essentiel, c’est-à-dire la commémoration dans une communion festive par tous les Togolais, de la date anniversaire de celui grâce à qui le monde entier reconnait le Togo, notre chère patrie à travers un drapeau aussi joli que significatif par ses couleurs vives. Ce grand homme que l’Etat togolais a jeté dans la poubelle de l’histoire pour des raisons que seul Dieu connait, c’est bien Paul Amavi AHYI.
Paul AHYI n’est ni de ma famille ni mon géniteur, encore moins mon maître d’école. Paul AHYI est par les œuvres qu’il a laissées dans ce monde, un homme à célébrer après sa mort, à défaut de le louer de son vivant. Pour beaucoup de Togolais qui liront ce discours avec dédain (puisqu’ils n’ont aucune notion de patriotisme), Paul AHYI n’a jamais été Président du Togo pour être gravé dans la mémoire du peuple togolais ou bien martyr politique pour faire l’objet de recueillements ou de marches devant réclamer ce qui lui revient de droit, et que l’Etat togolais refuse obstinément de lui donner, même après sa mort.
A bord de ma voiture, j’ai pris le temps de sillonner presque toutes les rues, avenues et boulevards de Lomé et d’autres villes du Togo, pour voir si quelque part, Paul AHYI est inscrit sur une plaque bleue comme il y en a partout au nom de certains « inconnus » de l’histoire de notre République. Et je puis me rendre compte que Paul AHYI a semblé faire un travail inutile, vraiment inutile et qui mérite d’être dit. Ce qui, à mon humble avis, remet sur le tapis, le sujet concernant l’adressage des rues, avenues et boulevards par les autorités municipales. Aucune rue ni avenue ne porte le nom de Paul AHYI. Au moins, le père de l’indépendance du Togo, Sylvanus OLYMPIO a eu cette chance de voir son nom sur une avenue à Lomé. Et certains lecteurs de ma bile vociféreront : «Jamais de monument pour lui, malgré tout le mérite qu’il a d’être érigé en monument pour l’histoire du Togo. Si Sylvanus Olympio n’a pas de monument à son effigie, est-ce à Paul AHYI que VONDOLY en réclamerait ?» D’autres patriotes pourront chuchoter : «Eh bien, Paul AHYI en mérite, même bien avant le père de l’indépendance !» Les uns et les autres auront raison. Car à vrai dire, au Togo, on ne sait jamais rendre à César, ce qui est à César, mais on sait simplement retirer à César, ce qui lui appartient. Les Ivoiriens nous diront : «Yako».
Dire tout ceci, n’enlèvera le poile à personne, je le sais très bien, mais cela permettra aux dirigeants de ce pays de connaître les erreurs graves qu’elles commettent en occultant la mémoire de certains citoyens qui ont donné à ce pays, tout ce dont un bon patriote est capable.
En France, pays tant copié par le Togo dans plusieurs domaines, même le planton d’une société d’Etat est célébré à sa disparition. Ici au Togo, ce sont des monuments historiques qui sont oubliés. Et c’est bien dommage. Je sais déjà le sort qui me sera réservé quand je ne serai plus dans ce monde. Et je me suis préparé déjà à savoir pourquoi.
A défaut de monuments historiques ou des rues, avenues ou boulevards au nom de Paul AHYI, le devoir patriotique nous impose au moins la célébration de la disparition de cette icône des arts plastiques qui a marqué son époque et tous les Togolais en bien jusqu’à son départ le 5 janvier 2010 à Lomé.
La disparition d’un Paul AHYI à qui l’on doit rendre hommage à travers diverses manifestations culturelles, ne dit rien au Ministère en charge de la culture. Même dans le Fonds d’Aide à la Culture (FAC), pas un seul franc n’a pu être épargné pour célébrer la mémoire des grands hommes aux dimensions plurielles et qui ont marqué le Togo dans bien de domaines.
Je crois fermement au dédain de l’Etat togolais face à Paul AHYI, d’autant plus que même les artistes plasticiens à qui il a été un exemple parmi tant d’autres, nient carrément le rôle qu’il a joué dans la promotion des valeurs culturelles au Togo durant au moins une cinquantaine d’années. Je le dis parce que j’en sais quelque chose. Même un artiste plasticien reconnu au Togo, à qui je citais les valeurs de Paul AHYI, m’a une fois dit ceci lors de nos échanges : «…Je n’ai pas le souci de marcher sur ces pas… je suis plutôt ce qu’on peut appeler un anti-Ayhi… mais Ahyi c’est pas du tout mon »truc’‘»… Je me garde de le nommer. Il n’est pas le seul à ne pas aimer Paul AHYI. Alors, si l’auteur du drapeau togolais est resté dans les couloirs de l’indifférence totale de l’Etat, c’est parce que parmi les autorités qui devraient œuvrer à ce que sa mémoire soit honorée à tout instant comme celle du Général Eyadéma, il y en a qui le détestent, juste par envie, alors qu’elles ne peuvent jamais s’égaler à sa créativité très légendaire.
Un ami Français, écrivain de son état, avec qui je me baladais à Lomé un de ses weekends, m’a demandé, devant l’hôtel Sarakawa : «Sébastien, l’auteur de cette sculpture est-il encore en vie ?» Je lui ai dit : «NON !» Et il continue : «J’ai vu son nom sur plusieurs sites dans la capitale Lomé, et je me suis dis qu’il doit être une idole ici ! Ou bien ai-je menti ?» Ce Français, j’ai eu la chance de lui préfacer un ouvrage intitulé « Crépuscule » paru en 2013. Je n’ai pas pu trouver de mots pour répondre à ces questions aussi pertinentes que dignes d’intérêt. J’ai compris que Paul AHYI est perdu de vue dans nos habitudes au Togo, surtout au niveau de l’Etat. J’ai simplement répondu : «Hum. Tu sais qu’il est l’auteur de notre drapeau, et qu’il a même décoré Vatican et d’autres institutions dans le monde ?»…..La suite, je la réserve en guise de recueillement pour Paul AHYI.
Aujourd’hui 5 janvier 2015. Paul AHYI fait cinq ans depuis sa disparition. Ni sur les radios, ni sur les télévisions, ni dans la presse écrite, ni sur la toile, l’homme n’est à la une. Alors, je me demande avec rage : pourquoi ?
Paul AHYI à travers le temps et l’histoire
Pour ceux qui ne le connaissent pas ou n’ont jamais eu l’occasion d’assister à une conférence publique sur Paul AHYI, je voudrais bien me prêter à cet exercice un peu difficile de le présenter, surtout ce pour quoi je lui réclame en ce jour, une rue, une avenue, ou un boulevard et pourquoi pas une école publique.
En effet, de nationalité togolaise, Paul AHYI est né en 1930 à Abomey au Bénin. Il commença ses études dans les années 50 et a évolué à l’Ecole Nationale Supérieure des Beaux Arts de Paris d’où il sortit en 1959. Nanti de son diplôme d’artiste plasticien, Paul AHYI a vite commencé par aller au fond de sa vocation : mettre de l’art au service du développement humain. Artiste polyvalent, l’homme sculptait, peignait, faisait de la céramique, de la tapisserie, des bijoux, et avait un goût prononcé pour l’architecture d’intérieur et pour le design d’objets usuels.
Paul AHYI était Professeur d’Arts Plastiques, ancien Professeur titulaire de l’Ecole Africaine des Métiers de l’Architecture et de l’Urbanisme (EAMAU) et enseignait le dessin au Lycée de Tokoin. Plusieurs sommités du Togo sont passées sous ses auspices, dont l’ancien Premier Ministre, Joseph Kokou KOFFIGOH.
En 1960, le jeune artiste a vu son dessin choisi par un jury assez expérimenté, ce dessin est le drapeau que le Togo s’est doté dès les premières heures de son accession à la souveraineté internationale. Il fait partie des artistes ayant érigé le monument de l’indépendance du Togo.
Au Togo et dans le monde, Paul AHYI a laissé ses empreintes. Entre autres réalisations, l’on mettra à son actif :
-la décoration sculpturale de la façade de l’hôtel Sarakawa (710m²) ;
-la décoration en céramique murale du siège de la BCEAO à Lomé (250m²) ;
-la décoration du marché de Hédzranawoé (2004m²) ;
EN COREE (Séoul)
-Présence Africaine : sculpture monumentale en ciment blanc et céramique.
NATIONS UNIES
-Grande sculpture en acajou.
VATICAN
-Grande sculpture en acajou.
NIGERIA (Abuja)
-Grande sculpture en acajou.
BURKINA FASO
-Grandes céramiques décoratives au siège de la BCEAO à Ouagadougou.
SENEGAL
-Sculpture en décoration monumentale (400m²) au siège de la BCEAO à Dakar.
Au rang des distinctions honorifiques, Paul AHYI a reçu dans le désordre :
-La médaille d’or des Métiers et Arts (Paris 1961) ;
-La médaille et le 1er prix de Peinture (Paris 1959) ;
-La médaille et le 1er prix d’Anatomie Artistique (Paris 1975) ;
-La médaille et le 1er prix d’Analyse et de Perspective (Paris 1975) ;
-La médaille et le 2ème prix de Décoration (Paris 1958) ;
-Commandeur des Palmes Académiques Françaises (1985) ;
-Officier des Arts et Lettres de France (1985) ;
-Officier de l’Ordre du Mono (Togo 1970).
Auteur écrivain, Paul AHYI a à son actif, plusieurs œuvres non éditées, mais dont la plupart ont été publiées en guise d’articles dans des journaux internationaux sur les arts et la culture.
Il est auteur des œuvres suivantes :
-Bref aperçu des réalisations monumentales et œuvres de grandes dimensions.
-Togo mon cœur saigne, recueil de poèmes, paru aux Editions de la Rose Bleue en 2008.
Pourquoi ne pas célébrer la mémoire de cet homme dont les œuvres ornent les villes, tant au Togo et ailleurs ? La réponse, l’Etat togolais se doit de nous la donner.
Il est à préciser qu’au Togo, ils sont nombreux, ces hommes et femmes ayant marqué d’une empreinte indélébile, l’histoire du Togo et dont la mémoire mérite d’être célébrée en tout instant. Ceux qui sont vivants, on peut les compter. A quand donc des rues, avenues, boulevards et écoles publiques ou privées au nom de Sylvanus OLYMPIO, Paul AHYI, Edem KODJO, Alex DOSSEH-ANYRON et j’en passe ?
Par ce texte, moi je sais lui avoir déjà rendu hommage. On reconnait un pays par ses grands hommes que par sa politique. A bon entendeur….
J’en ai fini pour le moment. A vos réactions !
Lomé, le 5 janvier 2015
Kodzo Adzewoda VONDOLY
Ecrivain journaliste, citoyen du monde
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