Est-ce un appel à la rébellion, au soulèvement populaire ? A l’approche de la date des manifestations des 24, 25 et 26 juin prochains, pour revendiquer les réformes constitutionnelles et institutionnelles, le Collectif Sauvons le Togo donne déjà dans la surenchère. Le 20 juin 2014, au cours d’une conférence de presse, les responsables du CST ont utilisé un vocabulaire belliciste dans lequel le mot “arme” abonde allègrement. L’échec du dialogue politique pouvoir-opposition et l’impossibilité des réformes constitutionnelles par voie pacifique, conduit-il l’opposition à des dérapages verbaux contrôlés ou non ? S’agit d’un discours faussement guerrier ou de l’extrême radicalisation du CST ?
Les propos des leaders du CST
« Nous n’avons pas les armes mais cela se réglera d’une manière ou d’une autre », Edem Atantsi, de l’Alliance nationale pour le changement (ANC). Mieux encore:
Si moi j’ai les armes aujourd’hui, si moi je pouvais avoir les armes, j’irai à la guerre. C’est de ça il s’agit, je vais aller à la guerre si je pouvais avoir les armes parce que nous avons trop souffert dans ce pays et nous n’avons plus envie de laisser nos enfants encore en souffrance.
Me Zeus Ajavon, président du CST, ne dit pas autre chose : « Nous n’avons pas les armes mais ça se résoudra, le peuple est là, le peuple est souverain.
Il continue dans une tournure propre à lui seul :
J’ai dit au président Jonathan [Goodluck Jonathan, président du Nigéria, ndlr], et je le répète que les armes nous n’en voulons pas. On sait où ça se trouve. Ça vaut 30 dollars pièce. Les kalachnikovs ça vaut 30 dollars à Bangui, tout le monde sait que les armes ça pilule dans la sous région et nous n’en voulons pas mais nous avons notre arme : c’est le peuple et avec ces armes on gagne toujours et on finira par gagner.
Le journaliste Pedro Amuzun joue également sur l’imaginaire des armes.
C’est parce que la survie du pouvoir passe par nous que nous ne voulons pas prendre les armes. Parce que l’argent pour prendre les armes on en a suffisamment pour le faire mais nous pensons qu’on ne prend pas les armes contre son propre pays.
Ce qu’en dit l’histoire du processus démocratique
Phantasme ou réalité. Devant la résistance du pouvoir à tout changement, l’opposition est-elle tentée de résoudre la crise par les armes ? L’histoire du processus démocratique n’est pas exempte d’une telle volonté, des expériences ont d’ailleurs été faites. Sans grand succès jusqu’à maintenant. L’expérience la plus aboutie fut celle l’opération commando de mars 1993, dont l’objectif est d’éliminer le Président Gnassingbé Eyadema. Les commandos venus de l’extérieur attaquèrent la résidence du chef de l’Etat au camp RIT. Le président Eyadema s’en sorti indemne. L’opération fut commanditée par Me Jean Yaovi Degli, ancien Premier ministre de la Transition, qui s’en était expliqué devant la Commission Vérité Justice Réconciliation (CVJR). L’échec de cette opération aboutit à une purge au sein de l’armée togolaise : plusieurs sous-officiers et officiers, dont le Colonel Tepé, chef d’Etat-major et ses quatre neveux, trouvèrent la mort.
Au Ghana, plus précisément en Volta Region, région habitée essentiellement par les Ewés-Anlo, les militaires en exil et l’opposition ont tenté de résoudre le problème Eyadema par une solution militaire. Cette armée de l’opposition dite de Satimadja, si elle avait existé réellement, n’a fait parler d’elle que par une ou deux attaques de postes de gendarmerie ou de gardien de préfecture. C’était une armée de pieds nickelés, dit un opposant. Il semble que l’ex-président du Ghana, Jerry John Rawlings, fut déterminé à une certaine époque à résoudre militairement la crise togolaise, mais les dirigeants de la rébellion feraient tellement dans l’amateurisme que le Président ghanéen a préféré remballer son projet. Recrutements douteux, hommes peu entraînés, provenances douteuses des armes, équipements médiocres, le tout commandé par des hommes visiblement peu doués et pas du tout préparés à ces genres de stratégie d’une rébellion armée.
Phantasmes et réalités
C’est dire que le projet d’une rébellion armée ou d’un soulèvement populaire suscitent des phantasmes. En 2005, le soulèvement populaire contre la victoire de Faure Gnassingbé à la présidentielle d’avril, a débouché sur un massacre par la soldatesque. Le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme dénombra près de 400 à 500 morts, près de 40.000 réfugiés à l’intérieur, et 10.000 à l’étranger.
Les 10, 11, 12 janvier 2013, l’opposition organisa sans succès l’opération ‘Les derniers tours de Jericho’, dont l’objectif avoué était le départ de Faure Gnassingbé du pouvoir. Échec et répressions policières et gendarmesques en tout genre. Les leaders du CST avaient fait croire aux masses qu’une telle opération pourrait amener Faure Gnassingbé à quitter le pouvoir. Depuis le denier Tour de Jericho n’est pas tombé mais est devenu un véritable rempart contre la démocratie.
La tentation de parvenir à un soulèvement populaire n’est pas nouvelle. C’est d’ailleurs le leitmotiv du CST, qui reproche au reste de l’opposition d’avoir abandonné “la disponibilité populaire” et la taxe de de “munichisme”. Ces dirigeants ne le cachent pas. Cette stratégie a été celle de l’UFC, qui se targue aujourd’hui de la pourfendre. Pendant la campagne présidentielle de 2005, lors du dernier meeting de l’opposition au Stade municipal de Lomé, Gilchrist Olympio déclare à la foule excitée: “cette fois-ci s’il nous vole encore, trois petites choses vont se produire”. Quelles sont ces petites choses ?
Cependant depuis le début du processus démocratique en 1990, les partis politiques et les leaders avaient plutôt misé sur une alternance pacifique. En dépit des réactions violentes du pouvoir RPT, plasticage de domiciles de dirigeants politiques, assassinats de leaders politiques, massacres des populations, l’opposition a toujours réagi sereinement en appelant la population au calme. Ce ne sont pourtant pas les moyens financiers ni humains qui manquent, peut-être un défaut d’organisation, mais encore faut-il l’organiser et que la géopolitique en 2014 permette une telle initiative.
Une armée ethno-tribale et non républicaine[amazon template=banner easy]
La réalité est que les leaders de l’opposition craignent avant tout une guerre civile qui aurait d’ailleurs l’allure d’une guerre ethnique. L’armée togolaise est à une forte composante ethno-tribale, à majorité de ressortissants de la Kozah, avec des officiers tournant autour de la famille du Président. Cette configuration tribale n’a pas changé depuis, malgré la recommandation de la CVJR.
Le 31 mai dernier, le commandant Olivier Poko Amah, de l’Association des Victimes de la Torture (ASVITO), demandait au cours d’un meeting de l’UFC, la réforme du statut de l’armée et surtout une profonde réforme du recrutement dans l’armée. Il a été relayé par Abbas Kaboua du MRC, qui a demandé également la fin de cette pratique ethnique qui non seulement clochardise l’armée mais la met aux services exclusifs des Gnassingbé et du système RPT. Le point commun de ces deux intervenants : ils sont de l’ethnie kabyè. C’est dire à la fois l’exaspération et la crainte des hommes politiques devant une armée dont l’objectif tendrait finalement à la conservation du pouvoir au profit d’un clan tout en croyant naïvement qu’elle lutte pour l’intérêt d’une ethnie.
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