Un retour aux années de rébellion intellectuelle universitaire ? Le centre culturel Hakuna Matata a été hier 29 mai le centre d’une dédicace de deux œuvres d’auteurs faisant partie du groupe d’universitaires et d’étudiants, qui ont marqué le bouillonnement intellectuel des années 1980-1990 à l’Université de Lomé (Ancienne Université du Bénin), lequel a été à la base de la révolte estudiantine contre le régime monolithique d’Eyadema le 05 octobre 1990.
L’Universitaire Apedo-Amah Togoata présentait son troisième livre, Théâtres populaires en Afrique/L’Exemple de la Kantata et du concert-party (Editions Awoudy, mai 2014) tandis que son ancien étudiant Sélom Gbanou, aujourd’hui enseignant à l’Université d’Alberta (Canada), faisait découvrir Enfantissages, son recueil de poèmes.
Le recueil de poèmes parle d’amour, et ses réminiscences d’enfances. Une œuvre non rimée mais assez rythmée, peut-être un peu trop monotone et rébarbative, qui revient un peu sur l’enfance de l’auteur, son vécu au Togo. Le pays se retrouverait sans faute dans cet ouvrage.
C’est avec l’essai de Togoata Apedo-Amah, que l’on a atteint le clou de ce rendez-vous littéraire. Comme son titre l’indique, le livre porte sur les théâtres populaires en Afrique, avec un accent particulier sur la Kantanta et le concert-party. Il s’agit d’une revue des articles écrits par l’auteur sur le sujet, thème de sa thèse de doctorat.
Le concert-party est un théâtre traditionnel et populaire profane, né au Ghana et vulgarisé au Togo et au Bénin dans les années 60 et 70. Quant à la Kantata, il est un genre dramatique, également populaire, mais de tradition biblique né au siècle dernier au Ghana et présenté à l’époque de façon enthousiaste dans les églises chrétiennes togolaises. Le dramaturge togolais, Sénouvo Agbota ZINSOU, lui a consacré plusieurs pièces de théâtre dont le mariage d’Isaac et de Rebecca,………..
Les deux genres ont pour commun d’avoir un public nombreux et régulier. En dépit de sa forme peu respectueuse de l’orthodoxie académique, le concert-party, animé à l’époque par Kokouvito avait une démarche de critique de la pensée sociale. Tout le monde, y compris les politiques, en prenait pour leurs grades….
Il s’agit de deux genres en perdition, les spectacles se font rares. Le concert-party ne se pratique que rarement dans le quartier populeux de Bè, et parfois à Kpalimé. La Kantata a disparu des églises.
C’est dire si le livre d’Apedo-Amah vient à point nommé pour remettre les pendules à l’heure même où le théâtre moderne au Togo est en crise. Depuis ses lueurs renaissantes par Kangni Alem et Kossi Efoui, et son réveil par la création du Festival de théâtre de la fraternité (Festhef), le théâtre togolais est en crise depuis plus d’une décennie : absence de public, peu de spectacles, rarissimes troupes théâtrales, peu de productions de pièces de théâtre. Tout part à vau-l’eau. La fermeture de l’Institut Français est venue boucler une situation déjà sur une pente déclive.
Or le théâtre est par essence le genre culturel pour déniaiser les masses, contrairement au livre, un tantinet élitiste. Quand un dramaturge a quelque chose à dire sur le plan politique, il n’y a rien de mieux que la voix théâtrale. Et c’est le mérite d’Apedo-Amah de nous permettre de redécouvrir ce théâtre, à un moment où le Togo traverse une situation sociale et politique mortifère.
Mais le livre d’Apedo-Amah est quelque peu décevant par le fait que l’auteur ne donne pas de perspectives au concert-party, ne permet pas aux dramaturges togolais de revisiter un genre qui pourrait être une solution à la crise du théâtre moderne. Heureusement que la postface d’Afan Huénumadji, penseur et universitaire, a sauvé le livre par une mise en abymes du concert-party.
Rebelle passé
La dédicace a été une occasion de retrouvailles entre d’anciens rebelles de la pensée au Togo. Afan Huénumadji, Togoata Apedo-Amah, Bodelin, Sélom Gbanou, Sékou Kandjagabalo, tous protagonistes de la revue Propos Scientifiques, étaient présents hier. L’occasion de remuer les remugles de la pensée subversive qui a servi à déboulonner la dictature de la pensée unique estampillée RPT, l’ancien parti unique. Sont absents à ce rendez-vous les écrivains Kangni Alem, Kossi Efoui, et les universitaires Guy Midiohouan, Kangnivi Têko-Agbo, Komlan Deh, Sony Labou Tansi, Guy Osito Midiohouan, Diabacté Ali, Yaovi Doglo-Akakpo, Adamé Ekué-Adama(+), Kuamvi Kuakuvi, Nicoué Broohm, autres animateurs de la revue Propos scientifiques. Contrairement à ce qu’on écrit habituellement et à la récupération dont elle a fait l’objet, le 05 octobre 1990, n’est qu’une longue histoire de combat intellectuel contre la dictature d’Eyadema, qui a commencé au campus de l’Université de Lomé en 1985.
Pour le professeur Afan, malgré le renversement des valeurs, l’échec du processus démocratique, l’espoir n’est pas perdu de changer les choses. Et c’est à juste titre qu’il faut réactualiser le théâtre populaire. Avec son habituelle grande pédagogie, le penseur déconstruit les mythes et dit clairement de rallumer la flamme de la réflexion. Ce qui n’est pas juste ne dure pas éternellement, dit-il en guise de conclusion.
Apedo-Amah Togoata, Théâtres populaires en Afrique/L’Exemple de la Kantata et du concert-party,Awoudy, mai 2014, 8.0000 CFA.
Selom Gbanou, Enfantissages,Awoudy, mai 2014
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