Le Bénin accuse ses voisins de déstabilisation depuis la démission d’un juge d’un tribunal spécial, qui pourrait y avoir trouvé refuge.
A quelques jours de la présidentielle du 11 avril, la fuite d’un juge d’un tribunal spécial défraie la chronique. Les autorités du pays accusent les voisins de déstabilisation. .
Essowé Batamoussi, magistrat de la Cour de répression des infractions économiques et du terrorisme (Criet), est en charge de l’affaire Reckya Madougou, candidate à la présidentielle et accusée d’attentat à la sûreté de l’Etat. Ecartée de la présidentielle, Reckya Madougou est accusée de complot d’assassinat de personnalités politiques de haut rang du Bénin, en vue de troubler le déroulement de la présidentielle.
Lundi 5 avril dernier, il a pris la fuite, accusant les autorités d’exercer des pressions sur la magistrature. « Le juge que je suis n’est pas indépendant », déclare-t-il à RFI.
Le juge Essowé Batamoussi considère que le dossier Reckya Madougou est vide. Pour lui, sa fuite et sa déclaration sur RFI pourraient dissuader les autorités à maintenir la pression sur ses collègues et sensibiliser l’opinion. »
La réaction des autorités béninoises ne s’est pas fait attendre. Dans un communiqué le ministre de la Justice du Bénin, Sévérin Quenum, rejette les allégations du juge Essowé Batamoussi, pourtant considéré par ces collègues comme « rigoureux ».
« De fortes sommes d’argent provenant de pays voisins sont offertes ici et là pour rallier diverses personnalités civiles ou militaires à l’entreprise de déstabilisation de l’État« , accuse Séverin Quenum.
Le ministre affirme également que des appels à coup d’État ont été lancés.
Arrivé au pouvoir en 2016, richissime et premier homme d’affaires du Bénin, le président Talon s’est attiré des inimitiés par la manière quelque peu autoritaire de ses réformes économiques et politiques. Des réformes politiques qui ont conduit à un bipartisme de fait à l’Assemblée nationale et l’émasculation de la plupart des partis politiques. Pour illustrer la grande démocratie qu’est son mandat, les deux partis présents au parlement soutiennent son élection à la présidentielle alors que ses sérieux rivaux sont rejetés. Son plus grand rival, le milliardaire Sébastien Ajavon est exilé pour des raisons judiciaires, laissant un boulevard à un Talon concourir à une présidentielle sans péril.
Idem de sa politique économique dont la rudesse a créé de nombreuses susceptibilités dans le pays, en dépit d’une appréciation relative de son bilan par certains analystes.
Le juge démissionnaire refugié au Togo ?
On note également que Patrice Talon, très peu voyageur, n’a pas d’amis parmi les présidents de la sous-région; une situation qui n’est pas de nature à lui attirer des appuis extérieurs de ses voisins, en cas d’ennuis politiques à l’intérieur. Parmi les voisins, le Togo et le Nigéria, pourraient pour des raisons diverses accueillir, abriter ou appuyer les adversaires éventuels de Talon .
Alors où se trouve le magistrat fuyard ? Les regards se dirigent vers les pays voisins. Le Togo pourrait être le premier sur la liste. Avant de postuler comme candidate à la présidentielle du Bénin, Reckya Madougou était conseillère du président de la République du Togo, et personnalité très influente à Lomé. La légende urbaine veut que cette ancienne ministre de Yayi Boni soit une intime du chef de l’Etat togolais.
Ancienne ministre de la Microfinance, de l’Emploi des jeunes et des femmes avant d’occuper la tête du ministère de la Justice, Reckya Madougou a développé un solide réseau d’influences entre Cotonou, Lomé, Abidjan et Dakar. Malgré le côté dramatique de la situation, il semble que Mme Madougou aurait joué un rôle crucial dans le retour de Patrice Talon au Bénin. Soupçonné de vouloir empoisonner le président Yayi Boni, dont il était un proche, et poursuivi par la justice française, l’actuel président béninois s’était exilé en France. Grâce à elle, les chefs d’Etat du Togo et de Côte d’Ivoire ont prié Yayi Boni d’accepter le retour au bercail de Patrice.
La candidature de Reckya Madougou, conseillère de Faure Gnassingbe, est considérée comme un casus belli par la classe politique togolaise. Nathaniel Olympio, président du Parti des Togolais parle d’un « incident diplomatique » en évoquant cette candidature, et se demandait si cette intrusion de la présidence togolaise dans les affaires du Bénin ne pouvait pas constituer un casus belli.
Dans un autre Tweet ce mardi 6 avril, soit deux mois plus tard, pour le leader du Parti des Togolais, le Togo est clairement le pays voisin évoqué par les autorités béninoises.
Les autorités togolaises ont-elles accordé l’asile au juge Essowé Batamoussi ? Peut-être. Soupçonné d’être un proche de Reckya Madougou qui fut ministre de la Justice, Essowé Batamoussi est aussi un ressortissant du Nord du Bénin. Son prénom et nom à consonnance Kabyè, Logba ou Batammariba, Essowé Batamoussi est proche sur le plan ethnique de certains ordonnateurs de la politique au Togo. D’où le soupçon…
Le Nigéria aussi pourrait en être
Autre pays pouvant être dans la ligne de mire des autorités béninoises : le Nigéria. Le Bénin a eu maille à partir avec son puissant pour des raisons d’ordre économique. Sous prétexte de lutter contre la contrebande, le Nigéria avait fermé sa frontière ouest avec le Bénin pendant plus d’un an. Une situation qui a entraîné un déséquilibre de l’économie béninoise dont le secteur agricole fut violemment frappé.
Mais d’autres raisons que la lutte contre la contrebande pourraient militer en faveur de la fermeture de la frontière nigériane. En 2019, lors d’un forum économique organisé par Mo Ibrahim Foundation, le richissime homme d’affaires nigérian, Ali Dangote, avait accusé le Bénin de manque de respect des règles sur la libre circulation des biens et des personnes de la CEDEAO. Porto Novo refusait l’importation du ciment nigérian au profit de l’exportation du ciment chinois. Détail détonnant, les milieux d’affaires soupçonnent le président béninois d’être derrière le trafic du ciment chinois à Cotonou. Ce qui pourrait faire passer Talon comme l’opposant à l’hégémonie économique du Nigéria dans l’espace CEDEAO.
Violences politiques et économiques à l’intérieur, manque de fair-play avec certains voisins, le président Talon s’est créé beaucoup d’ennemis en 5 ans de gouvernement. Des ennemis extérieurs qui peuvent vouloir jurer sa perte.
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