Nathaniel Olympio : Edem Kodjo ? Je connaissais une personnalité publique… puis j’ai rencontré l’homme

Edem Kodjo, l'ancien Premier ministre et secrétaire général de l'OUA, mort le 11 avril dernier

Nathaniel Olympio, président intérimaire du Parti des Togolais rend ici hommage à l’ancien Premier ministre Edem Kodjo, décédé samedi dernier à Paris à l’âge de 82 ans. C’est l’une des toutes premières réactions de dirigeants de l’opposition quant au décès de l’intellectuel et homme politique togolais qui avait beaucoup de détracteurs au sein de l’opposition.

Tribune : Je connaissais une personnalité publique… puis j’ai rencontré l’homme

Des hommages affluent depuis l’annonce du rappel à Dieu de l’ancien Premier ministre Monsieur Edem Kodjo. Pour ma part, je voudrais particulièrement partager mon expérience personnelle avec l’homme que j’ai eu l’occasion de rencontrer.

Le nom Edem Kodjo a résonné dans mes oreilles pour la première fois au tout début des années 70 alors que j’étais jeune collégien, comme ce fut le cas de beaucoup de ma génération baignés dans le monolithisme politique d’alors. Les années passant je me suis forgé une opinion de lui, qui il était. C’est en février 2019 que je l’ai rencontré pour la première fois… S’en suivront quelques autres entretiens, me faisant découvrir alors un homme bien plus complexe qu’il n’y paraissait. Il connaissait mes parents.  Mais les civilités familiales ayant permis de briser la glace ont rapidement fait place à un regard croisé que nous portions sur l’actualité politique togolaise.

J’ai découvert un homme à l’esprit de finesse, avec un regard scrutateur, presque inquisiteur, ceci enrobé dans une posture relationnelle empreinte de courtoisie et de bonnes manières. Le choix de ses mots, le timbre de la voix, la fixité du regard… tout traduisait la démarche bien huilée d’un professionnel politique à la découverte de cet Autre, que j’étais et qu’il jaugeait à présent, indépendamment du peu que les médias avaient pu lui apprendre jusque-là. Tout concourait à mettre à l’aise dans son positionnement policé. J’en avais souri quelques fois. Etait-ce pour faire baisser la garde afin de mieux sonder son interlocuteur ? J’ai compris plus tard que c’était un  mélange de sa véritable personnalité et de la pratique politique. Et cela lui servait en effet.

Le premier échange comme tous ceux qui ont suivi ont essentiellement porté sur la vie politique du Togo, surtout ce que les Togolais veulent faire du Togo et comment y arriver. J’ai eu l’agréable sentiment de constater qu’il souscrivait à la vision que je continue de nourrir moi-même pour le Togo. Celle d’un pays où les citoyens vivraient ensemble dans une cohésion nationale et jouiraient des droits fondamentaux dans une démocratie qui s’enracine. J’ai perçu en lui une sincère volonté de voir son pays sortir du confinement de crise politique permanente et il se sentait encore capable d’y contribuer. Cette détermination, je l’ai ressentie, elle était forte, palpable, presque énergisante. Je me suis demandé alors comment cela pourrait-il se réaliser, se concrétiser ? Quels étaient les moyens réels qu’il avait encore d’agir ? Qu’est-ce qui animait encore l’homme qui s’était pourtant pratiquement retiré du champ politique du Togo ? Elles étaient multiples, ces interrogations, à tournoyer dans ma tête.

Avec l’ouverture d’esprit intellectuel qu’il affichait, j’ai cherché à savoir – au vu de ses grandes responsabilités politiques passées – pourquoi la situation politique n’avait-elle plus évolué depuis tant de décennies. Il avait amorcé ce qui me paraissait être une introduction à sa réponse lors de notre dernière rencontre. Nous devions revenir sur le sujet la fois suivante… Hélas ! Il m’aurait plu d’avoir le temps d’approfondir cette expérience.

J’ai entr’aperçu dans nos quelques échanges, un homme complexe, convaincu qu’en arrondissant les angles il réussirait à faire cohabiter le loup, la chèvre et le chou dans une certaine tolérance qui ferait évoluer les choses.  Cela pouvait-il fonctionner ? Un exercice périlleux qu’il avait choisi de mener en connaissance de cause. Il ne semble pas aisé pour le jeune Togolais ordinaire d’aujourd’hui de lire et de comprendre son parcours. Dans la situation de misère sociale et de démocratie en souffrance que bon nombre de Togolais expérimentent, une posture comme la sienne pouvait-elle répondre, malgré tout, aux attentes du moment ? Ou bien était-il une sorte d’anachronisme : une lumière en décalage de son temps ?

Aujourd’hui, lui-même n’est plus là pour s’exprimer et s’expliquer. Les historiens pourront faire frémir leur science et éclairer, à travers leurs travaux respectifs, les Togolais sur cette personnalité insaisissable dans les frontières de son propre pays, mais de grande notoriété au-delà. Cette notoriété, loin des siens, il l’a construite des années durant dans le panafricanisme qu’il chérissait tant et dans les responsabilités qu’il a assumées au bénéfice du continent. Les acteurs politiques de sa génération, ceux qui l’ont pratiqué au quotidien dans la durée, auraient probablement des choses à partager.

Tout ceci, à mon humble avis, dépeint aussi la singularité de l’homme…

Edem Kodjo m’a fait l’honneur de me présenter son épouse et ses filles. Permettez qu’avec délicatesse, j’use de cette plume, afin de leur témoigner mes sincères et profondes condoléances.

Que la terre lui soit légère.

Nathaniel Olympio

Président du Parti des Togolais


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A propos Tony Feda 145 Articles
Journaliste indépendant. Ancien Fellow de l'Akademie Schloss Solitude (Stuttgart, Allemagne), Tony FEDA s’intéresse à la sociologie, la culture- ses domaines de prédilection sont la littérature et les arts de la scène du Togo. A travaillé pour plusieurs journaux dont Le Temps, Notre Librairie. www.culturessud.com. Depuis août 2018, s'inspirant de Robert Park et de Bourdieu, il entame sur son blog www.afrocites.wordpress.com des projets sur des thèmes concernant la ville.

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