Le Congrès National Africain (ANC) a subi une lourde défaite historique aux élections municipales en Afrique du Sud, perdant deux grandes villes importantes, Port-Elizabeth, Prétoria et Nelson Mandela Bay. La défaite s’accompagne de la percée du principal parti d’oppostion, l’Alliance démocratique et ce dans un contexte de délitement de la présidence de la République assumée par Jacob Zuma.
Le pouvoir use les hommes politiques qui en abusent. Vingt-deux ans après son arrivée au pouvoir, l’African National Congress (ANC) se réveille avec la gueule de travers après les élections municipales du 3 août dernier. Et pourrait commencer à redouter une alternance en 2019, si d’ici là, Jacob Zuma, leur boulet, n’est pas éjecté du pouvoir.
Longévité au pouvoir, corruption de la classe politique corrélative du respect de la chose publique, surtout en ce qui concerne le Président Jacob Zuma, embourgeoisement d’une classe dirigeante oublieuse des promesses politiques de réduire l’inégalité scandaleuse post-Apartheid entre Noirs et Blancs, chômage élevé, électeurs noirs déçus, voici grosso modo les facteurs qui expliquent la défaite historique de l’ANC aux élections municipales.
En effet depuis 1994, l’ANC n’avait jamais atteint un score aussi bas. Certes, le parti victorieux de l’apartheid est en tête sur l’ensemble du pays, mais plusieurs défaites majeures symbolisent sa défaite. Ainsi, l’ANC perd la ville industrielle de Port-Elizabeth et de Nelson Mandela Bay au profit des libéraux de l’Alliance démocratique. Il perd également la majorité absolue dans capitale politique Pretoria et chute sous la barre de 50 % dans plusieurs villes dont Nelson Mandela Bay, ville emblématique baptisée ainsi en hommage au héros de la victoire sur l’apartheid et bastion historique de l’ANC.
Seule la métropole économique Johannesburg échappe pour l’instant à l’ANC, avec une victoire à la Pyrrhus de 44,5%, devançant de cinq points l’opposition. En 2011, c’était loin d’être le cas, l’ANC ayant engrangé une victoire de 61%.
Le déclin moral de Zuma
La défaite de l’ANC était quelque peu attendue vu la situation socio-politique dans laquelle s’enlise le pays depuis quelques années du fait de la présidence Zuma. A l’approche desmunicipales beaucoup de leaders redoutaient le scrutin, les sondages donnant l’ANC en dessous de la barre psychologique des 60% au niveau national. Dans un journal, l’ex président Kgalema Mothlante déplorait l’état du pays, «désormais en pilote automatique ». En cause les problèmes de corruption qui minent la présidence de la République dont les retombées éclaboussent l’image du parti. Le président Jacob Zuma est accusé d’avoir détourné utilisé de l’argent public pour construire une luxueuse villa personnelle hors de prix. La Haute Cour de justice lui a demandé de verser 450.000 Euros ayant servi avant fin septembre.
Il n’en a pas fini avec la justice sud-africaine, qui a maintenu le 24 juin dernier sa décision d’autoriser des poursuites contre Jacob Zuma, pour « corruption » dans une affaire de contrat d’armement alors qu’il dirigeait le parti. L’image de la présidence ne s’est jamais autant dégradée depuis l’arrivée au pouvoir de Jacob Zuma, aussi soupçonnée de népotisme voire de favoritisme avec ses « amis personnels ». Dans ce pays où domine l’esprit luthérien, le manque d’exemplarité de la classe politique embourgeoisée passe très peu auprès des masses confrontées aux difficultés du quotidien : économie en déclin, près de 0% de croissance cette année ; 26% de chômage ; des quartiers sans adduction d’eau ni électricité.
Montée en puissance de l’Alliance Démocratique
Face à la défaite cuisante et historique de l’ANC, c’est le parti d’opposition de l’Alliance démocratique (DA), un parti de Blancs il y a encore quelques années, qui remporte la mise. Les électeurs se sont tournés vers ce parti qui caractérise qui porte la critique virulente du système Zuma. Ayant porté à sa tête un jeune pasteur noir de 35 ans, Mmusi Maimane, l’Alliance démocratique incarne peut-être avec ces élections municipales l’alternative démocratique à un ANC que l’on croyait inamovible. La DA a obtenu la majorité de 43% dans la capitale sud-africaine et a arraché une victoire de taille dans la ville de Port Elizabeth, bastion de l’ANC. Son président salue d’ailleurs « un tournant historique ».
« Pendant beaucoup trop longtemps, l’ANC a gouverné l’Afrique du Sud sans rendre aucun compte, sans aucune considération pour le peuple de ce pays, a condamné, le pasteur Mmusi Maimane . Cette élection parle aussi de cela. De l’histoire de ceux qui n’ont pas d’emploi du fait que la corruption est devenue endémique au sein du gouvernement de l’ANC. Et je suis inspiré par l’espoir du peuple sud-africain qui a pris ses responsabilités et a dit : “Nous allons voter car nous voulons un autre futur”.»
Et la percée de la DA peut faire encore plus mal dans les alliances possibles se dessinant pour gouverner certaines municipalités dans lesquelles elle n’a pas obtenu la majorité absolue. Ainsi une alliance avec les Combattants pour la liberté économique (EFF), menés par Julius Malema, un dissident de l’ANC, jusqu’au parti de Bantu Holomisa, un autre dissident de l’ANC, c’est tout une grande opposition qui se constitue contre l’ANC. D’ailleurs, une image montrant à la veille des élections une forte accolade entre les pourtant ennemis Thabo Mbeki et le leader d’EFF, symbolise quelque peu l’opposition systématique qui se dessine contre l’ANC. Le successeur de Mandela avait d’ailleurs appelé les électeurs a voté selon leurs consciences.
Si les déclarations de Julius Malema quant à son refus de s’allier à l’ANC pour gouverner certaines municipalités se confirment, et sa volonté de se mettre dans une alliance contre nature mais pragmatique avec la DA se précise, les prochaines élections générales de 2019 peuvent constituer une alternance à la tête du pays.
Exit Jacob Zuma ?
Il n’y a pas de doute que la déroute électorale de l’ANC va poser une sérieuse question en ce qui concerne le pouvoir de Jacob Zuma. Le président sud-africain a été hué au moment de son discours par quatre femmes portant des pancartes sur lesquelles était écrit au feutre : « 10 ans » / « Remember Khezi » – « souvenons-nous de Khwezi ». Un rappel d’un scandale qui avait défrayé la chronique de la trépidante vie sexuelle de Jacob Zuma accusé d’avoir violé une jeune femme du nom de Khwezi. Si le président, à l’époque ministre de la Défense était jugé non coupable, il n’en reste pas moins que cette affaire est symbolique de l’impunité dont il jouit depuis des années. Cependant, cela témoignerait aussi de la force de caractère d’un homme politique qui, sous le coup des orages, plie comme un roseau et reste debout après le passage des vents violents. Il maîtrise l’appareil du parti et empêtré dans des affaires de corruption, il avait poussé à la démission Thabo Mbeki et pris sa place quelques mois plus tard.
Résistera-t-il cette fois à la défaite électorale dont il porte une grande part de responsabilité ? Rien n’est moins sûr. Déjà miné par de sérieuses divisions, le parti pourrait penser sérieusement à pousser Jacob Zuma dehors, à la grande joie de tous. Dans ce cas, les élections générales de 2019 pourrait être envisagées sous de meilleures auspices.
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