Selon un proche de l’ANC, lors de son passage à Lomé, le président ivoirien Alassane Ouattara avait tout simplement intimé l’ordre à Jean-Pierre Fabre de reconnaître le résultat du scrutin d’avril 2015.
Le 28 avril 2015, soit trois jours après la fermeture des bureaux de vote, le processus électoral semble avoir du plomb dans l’aile. Les travaux de la Commission électorale nationale indépendante (CENI) font du surplace. Le torchon brûle entre les délégués de l’opposition et ceux du pouvoir. En cause, les résultats de 7 Commissions électorales nationales indépendantes (CELI) suscitent des controverses. Dans la Binah par exemple, le nombre de votants dépassent largement le nombre d’inscrits, dans un scrutin boudé par plus de 45% des électeurs, alors même que le fichier électoral dit vérolé à 75% comprend à la fois des morts, des mineurs et des étrangers !
Visiblement le Togo risquait à nouveau d’entrer dans une crise électorale à l’issue incertaine. Les voisins du Togo ont la phobie des élections qui s’y déroulent : violences post-électorales, centaines de morts, milliers de réfugiés et compagnie. C’est donc pour éviter ces dérapages que le président ghanéen John Mahama et l’Ivoirien Alassane Ouattara se dépêchent pour étouffer le feu qui couve sous la cendre. Et les Africains se fient très bien à cet adage : «Il n’y a pas de petite querelle, comme il n’y a pas de petit incendie. Le feu et la querelle sont les deux seules choses qui, sur cette terre, peuvent mettre au monde des enfants plus colossaux qu’eux-mêmes : un incendie ou une guerre ».
En volant au secours du Togo, la diplomatie ouest-africaine voudrait donc éviter également une crise qui pourrait avoir des conséquences régionales. En 2005, plus de 10 mille Togolais se sont réfugiés au Ghana, lors de la prise du pouvoir par Faure Gnassingbé. Le Ghanéen John Mahama est donc concerné, doublement d’ailleurs, en tant que président exercice de la CEDEAO (il a passé le témoin le mois dernier) et voisin immédiat du Togo. Quant à l’Ivoirien Alassane Ouattara, son arrivée le 28 avril à Lomé a surpris tout le monde. Selon un responsable de l’ANC, qui a requis l’anonymat, il a parrainé un accord entre Jean-Pierre Fabre, le candidat du CAP 2015 et Faure Gnassingbé.
La crise électorale qui s’annonçait va se dénouer à l’arrivée des deux présidents ou …après leur départ. Les deux présidents rencontrent une délégation du CAP 2015 à la villa des Hôtes de la cité OUA. Le CAP 2015 est composé de Jean-Pierre Fabre, Patrick Lawson, Me Abi Tchessa, Brigitte Adjamagbo-Johnson et de Me Georges Lawson. A la fin de la rencontre, le candidat du CAP 2015, Jean-Pierre Fabre, déclare à la presse :
Nous avons discuté du rythme des travaux de la CENI. Les présidents Alassane Ouattara et John Mahama considèrent que le rythme des travaux est un peu lent. Il a été proposé que les CELI à problème soient, lorsqu’on en rend compte au cours des travaux, soient mises de côté et que les travaux continuent.
La déclaration du candidat Jean-Pierre Fabre laisse entendre le déroulement des discussions dans une bonne ambiance, une compréhension mutuelle. On a cru même comprendre que les dirigeants ouest-africains donnaient quelque peu raison à l’opposition.
Accord préélectoral parrainé par Alassane Ouattara
Rien de tout cela. Selon notre source, les discussions étaient empreintes de tout sauf de cordialité. Elles avaient plutôt une certaine verticalité autoritaire. Jean-Pierre Fabre, qui avait étrangement les deux mains entre les jambes pendant l’entretien, n’était pas considéré comme un potentiel successeur de Faure Gnassingbé, un probable vainqueur de la présidentielle et donc l’interlocuteur futur des deux présidents dans les échanges entre les trois états.
Les deux présidents ont demandé à Jean-Pierre Fabre de donner les preuves de ses allégations de fraudes. Dans le cas contraire, qu’il se taise et laisse la CENI continuer les travaux, sinon ce sont eux[les deux présidents] qu’il retrouverait sur son chemin. Le Président Alassane Ouattara est allé plus loin en taxant le président de l’ANC de manquer à sa parole, de ne pas respecter les accords avant la tenue des élections, et que son attitude remettait en cause son statut de chef de l’opposition dont le décret devrait être signé par Faure Gnassingbé dès après la formation du nouveau gouvernement.
Les accords ? Pour mémoire, avant le début de la campagne présidentielle, Jean-Pierre Fabre aurait effectué nuitamment une visite à Yamoussoukro pour rencontrer le chef des lieux. Le président Alassane Ouattara lui aurait remis une somme de 500 millions CFA, au titre d’à valoir de son statut de chef de file de l’opposition. Jean-Pierre Fabre devrait normalement jouir, depuis les législatives de juillet 2013, de ce statut gelé Faure Gnassingbé pour des raisons politiciennes. Voté le 13 juin 2013, le statut était taillé sur mesure pour Gilchrist Olympio, dont le parti fut sèchement battu en 2013.
Le statut de chef de file de l’opposition votée par l’Assemblée nationale est sensée pacifier et civiliser le théâtre politique. Il définit les règles du jeu politique, le respect de l’opposition, ses droits et devoirs au sein d’un régime républicain. L’opposition a un chef de file. Les article 25 et 26 définissent clairement le statut du chef de file de l’opposition et ses avantages.
Article 25 : Le chef de file de l’opposition reconnu comme tel jouit, en cette qualité, des droits spécifiques reconnus par les lois et règlements pour toute la durée de la législature, sauf déclaration de retrait et les autres cas expressément prévus par la présente loi.
Les modifications au sein d’un parti ou regroupement de partis politiques de nature à affecter le statut de chef de file de l’opposition sont notifiées au bureau de l’Assemblée nationale qui en informe le ministère charge de l’administration territoriale.
Article 26: Dans le cadre des règles du protocole d’Etat, le chef de file de l’opposition a rang de président d’institution de la République.
Il bénéficie des privilèges et des avantages fixes par un décret en conseil des ministres
D’après des sources proches du pouvoir, et selon le décret gelé que Faure Gnassingbé n’a pas signé, un budget de 500 millions CFA est alloué au chef de file de l’opposition. A lui seul qui a à sa disposition une équipe, un secrétariat, des gardes du corps, et un véhicule de fonction.
Membres rémunérés du shadow cabinet ?
Jean-Pierre Fabre faisait son jeu dans ce qu’il s’apparentait à une grande une comédie électorale ? Fort probable. Alors que son délégué Pedro Amuzun se battait comme un diable pour faire annuler les résultats des 7 CELI en cause, les dirigeants du CAP 2015 se murent dans un silence sépulcral, attendant l’arrivée des deux chefs d’Etat, quand tout le monde s’attendait à une sortie publique pour faire le point de la compilation des résultats par leur cellule électorale. L’opinion aura attendu en vain.
Selon la source, Jean-Pierre Fabre serait actuellement en négociation. Le statut de chef de file de l’opposition devrait être revu par l’Assemblée nationale, les avantages du chef de file augmentés. Ainsi, le chef de file devrait disposer d’un shadow cabinet dont les membres bénéficieraient d’avantages conséquents. Comme en Angleterre, les membres du shadow cabinet auraient rang de ministre et devraient avoir des informations sur le fonctionnement du gouvernement. Certains hauts dirigeants de l’ANC ont fait pression sur Jean-Pierre Fabre pour arracher cette concession au pouvoir. L’un des vice-présidents auraient carrément menacé d’entrer au gouvernement si Jean-Pierre Fabre ne dispose pas d’une équipe jouissant de gros avantages.
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