Il n’y a aucune fierté à appliquer à la lettre une politique économique exogène dont le but inavoué n’est pas de créer et de redistribuer la richesse nationale.
Dans une interview accordée au site Togo First, Sandra A. Johnson, ministre déléguée et conseillère de Faure Gnassingbe en charge de l’Amélioration du Climat des Affaires, affirme que le Togo n’est pas concerné par les irrégularités ayant entaché le classement Doing Business de la Banque Mondiale.
Soit. Dans le sillage de sa suspension du classement Doing Business à cause de certaines irrégularités, l’institution de Bretton Woods informe que seules les données sur la Chine, l’Azerbaïdjan, les Émirats arabes unis et l’Arabie saoudite “semblaient avoir été altérées de manière inappropriée”.
Selon les informations, en cas de confirmation des erreurs, les données révisées pourraient affecter le classement de ces cinq pays. Ce sera notamment le cas de la Chine et de l’Arabie Saoudite. Le dernier rapport, par exemple, a montré une grande amélioration parmi les économies du Moyen-Orient, l’Arabie Saoudite gagnant 30 places. De même, un pays aussi fermé que la Chine a gagné 50 places.
Il n’en est pas ainsi du Togo et du Nigéria classés parmi les 10 pays qui ont montré le plus d’améliorations en matières de réformes enregistrées dans le monde. Avec le Kenya, l’Afrique du Sud, la Zambie, le Botswana, ils sont classés parmi les 100 premiers bons élèves du classement de la Banque mondiale.
La ministre déléguée n’a donc pas tort en relevant que les « irrégularités constatées » ne concernent point le Togo.
Cependant, Mme Sandra A. Johnson devrait moins traîner sa gloriole ou encore moins emboucher les trompettes d’une économie togolaise performante.
Car il y a bien un énorme distinguo entre l’amélioration de l’environnement des affaires visiblement destinée à attirer les investissements directs étrangers (IDE) et les performances macroéconomiques d’un Etat.
Le classement Doing Business porte ainsi sur des réformes devant améliorer l’attractivité des pays pour les investisseurs, et de façon spécifique un environnement à faible fiscalité et à faible réglementation.
Grosso modo toute la doxa libérale sur le marché, la dérèglementation et la flexibilité. Et cette idéologie qui sous-tend le classement conduit à dérives, pas seulement les irrégularités constatées dans le cadre du classement de 2019 mais aussi dans les dernières années, où l’on a constaté des déclassements des pays dont les gouvernements sont moins libéraux.
Ainsi Paul Romer ancien économiste en chef de la Banque mondiale a démissionné parce que Doing Business a rétrogradé le Chili de la 44e à la 55e place pour la simple raison que le gouvernement de la présidente Michèle Bachelet était de gauche.
Ce qui laisse paraître le Doing Business comme un « bizness » peu scrupuleux de la clique de Bretton Woods pour imposer aux pays en développements des règles du marché qu’eux-mêmes ne s’appliquent.
Mieux : Doing Business est un trompe-l’œil sur la question d’attractivité et pourrait être toxique pour les pays africains. « Ce qui compte le plus pour les investisseurs est la stabilité, la prévisibilité et la clarté de la réglementation», déclare Carlos Lopès, l’ancien chef de la Commission économique des Nations unies pour l’Afrique
Pour attirer les IDE, il n’y a pas mille manières : l’indépendance de la justice, la stabilité politique et moins de corruption. En gros, un Etat de droit orienté vers une démocratie avérée.
Or, c’est justement l’établissement d’un Etat de droit que rejettent les tenants de la junte militaire qui régente le destin du Togo depuis 57 ans avec l’aide d’une justice sous ordres et une administration corrompue et médiocre qui valident les putschs électoraux, fraude le marché et cautionnent les assassinats politiques. Une situation de coup d’Etat permanent qui cause l’instabilité politique permanente depuis 1990, donc dissuasive des IDE, des donateurs étrangers et surtout castratrice du développement.
Par conséquent, un bon classement Doing Business est aussi efficace qu’un cautère sur une jambe de bois. Et Faure Gnassingbe qui a reçu le Togo en héritage et n’a jamais conçu aucun programme politique – a-t-il d’ailleurs une vision du Togo-, devrait remiser rapidement son fétichisme pour Doing Bizness et revenir aux fondamentaux d’une vraie politique de développement et de la croissance. Et pour ça, point besoin de la Banque mondiale ni FMI.
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