La Commission électorale ghanéenne a permis l’alternance démocratique grâce à ses dirigeants, souvent des hommes au caractère bien trempé.
L’alternance démocratique que vit le Ghana depuis 1992 est possible grâce à la puissance de ces institutions et surtout à la forte personnalité des dirigeants de la fameuse Commission Electorale du Ghana. La présidentielle de décembre dernier vien encore de le prouver. Il n’y a pas de démocratie sans démocrate.
Décembre 2008, John Kufuor a les yeux rouges de rage. Il semble même quelque peu décontenancé, étiolé par les tensions vécues lors de la présidentielle. Son successeur désigné, le candidat de son parti Dankwa Akuffo-Addo vient de perdre les élections face au candidat du National Democracy Congress (NDC), John Atta-Mills, l’homme de son prédécesseur et ennemi juré, Jerry John Rawlings.
Le NDC est issu du PNDC, l’ex-parti unique des années de plomb de Rawlings, le militaire considéré comme l’inventeur de la démocratie ghanéenne. Et l’arrivée d’Atta-Mills au pouvoir est considérée comme une revanche de l’impétueux ex-capitaine d’aviation.
John Kuffuor déconcerté par la Commission Electorale
John Kufuor est en colère à cause de l’attitude d’un seul homme : Dr. Kwadwo Afari-Gyan, le président de l’Electoral Commission of Ghana (La Commission électorale du Ghana). Dr. Kwadwo Afari-Gyan râpe sérieusement les nerfs du président sortant par son refus d’invalider les soupçons de fraude de West Bank– la Volta-Region dans le jargon du NDC- essentiellement peuplée d’Anlo-Ewé.
En conférence de presse, face à ses détracteurs qui l’accusent d’œuvrer pour Rawlings qui l’avait nommé à ce poste en 1992, Dr. Kwadwo Afari-Gyan, imperturbable : « The name of the game is PROOF. »
Traduction: «Donnez-moi la preuve, et la Commission Electorale rendra nul le vote de ces régions», ajoute-t-il. Evidemment, les preuves ne reposaient que sur des soupçons, des allégations invérifiables.
Dépité par la souveraineté du Dr. Kwadwo Afari-Gyan, en quittant le Flagstaff House, la présidence du Ghana, le président John Kufuor demandera une réforme de la Commission électorale, trouvant dangereux pour les institutions qu’un dirigeant puisse rester aussi longtemps à la tête d’une institution aussi importante de la République. Mal lui en pris, Dr. Kwadwo Afari-Gyan fit encore un mandat de plus.
Une Commission électorale forte, une idée de Rawlings
«Ce que nous voulons faire du Ghana, c’est de mettre en place des institutions et pratiques tellement fortes que même si le diable lui-même venait à diriger ce pays qu’i ne puisse pas faire ce qu’il veut mais soit obligé de respecter les lois en place », dit un jour J.J Rawlings à propos du processus démocratique au Ghana.
La démocratie ghanéenne doit sa vitalité et son dynamisme à la vision de ce militaire qui voulait instaurer un Etat fort donc bâti sur la puissance et l’indépendance des institutions.
Dr. Kwadwo Afari-Gyan, un président fort
Le processus démocratique au Ghana doit sa réussite à l’indépendance de ses institutions (Cour suprême et Commission Electorale mais surtout à l’Indépendance d’esprit et matériel et à la forte personnalité de son premier président Dr. Kwadwo Afari-Gyan.
Juriste de formation, Dr. Kwadwo Afari-Gyan, enseignant de droit, a été choisi parce qu’il était l’un des meilleurs dans son domaine à l’époque. Issu d’une institution universitaire réputée aussi pour sa qualité, Dr. Kwadwo Afari-Gyan ne devait donc pas sa nomination grâce à ses sympathies au Gouvernement du PNDC, et ce, en dépit des liens d’amitié ou de camaraderie qui liaient les intellectuels de gauche à la junte militaire de Rawlings.
Pendant la période du parti unique (1981-1992), Rawlings avait déjà su créer des espaces de liberté aux intellectuels dans le cadre de la National Theater ainsi qu’une grande marge de liberté d’expression au sein du quotidien national, The Daily Graphic et des médias d’Etat.
Cette indépendance vis-à-vis du pouvoir politique est reconnue également pour les autres membres de la Commission électorale, tous réputés pour leur compétence et leur intégrité, la plupart étant nantis de diplômes d’études supérieures.
Ce ne sont donc pas les fonctionnaires sous-alimentés de la Fonction publique togolaise que l’on retrouve dans les cagibis de l’Administration territoriale, propulsés du jour au lendemain à la tête d’une institution capitale devant conduire une lourde machine telle qu’une Commission électorale.
Pendant quatre mandats (12 ans) à la tête de la Commission électorale, Dr. Kwadwo Afari-Gyan a su préserver l’indépendance de cette structure constitutionnelle. Certes une telle longévité finit tomber dans la routine et montrer des failles parfois hénaurmes.
Aussi vers la fin de son mandat, l’EC fut-elle vertement critiquée par la Cour suprême ghanéenne, une institution également affreusement chatouilleuse pour son indépendance, la qualité et la compétence de ses membres. Le juge Justice Jones Dotse dauba Kwadwo Afari-Gyan d’une telle virulence telle que son prestige en fut écorné. Néanmoins, personne ne mit en cause l’intégrité de Kwadwo Afari-Gyan.
Ms Charlotte Kesson-Smith Osei, une femme un peu…ferme
Dans la droite ligne de ce précédent heureux, on trouve l’actuelle présidente de l’Electoral Commission, la séduisante Ms Charlotte Kesson-Smith Osei, également juriste de formation, descendante de la bourgeoisie locale. Cette avocate a le même parcours que son prédécesseur.
Elle ne mange dans la main de personne et doit son ascension sociale à la sueur de son front qu’à des courbettes politiques dignes d’un personnage d’un roman de Ngugi Wa Thiong’o.
Néanmoins, au lendemain du premier tour de la présidentielle couplée des législatives,du 6 décembre dernier, l’Electoral Commission suscita la controverse à cause du retard dans la proclamation des résultats. La tension était à son comble et des sympathisants du NPP armés d’armes blanches menaçaient d’en découdre si la victoire n’était pas échue à leur camp.
Sereine, Ms Charlotte Kesson-Smith Osei, proclama Dankwa Akuffo-Addo vainqueur de la présidentielle, en dépit dit-on des pressions. Même si beaucoup de ses détracteurs l’accusent d’avoir moins d’autorité et de prestance que son prédécesseur et un peu de penchant pour le président sortant John Dramani Mahama.
Ce n’est pas faux. Elle n’a eu le courage de proclamer qu’après la reconnaissance de sa défaite par le président sortant. Mais La démocratie ghanéenne est saine et sauve. Et on ne voit pas ce qui pourrait la déstabiliser dans le système d’alternance au pouvoir par le jeu des élections.
Certes la corruption galopante et l’enrichissement extrême d’une minorité pourraient mettre à mal le fonctionnement d’un pays où les politiques s’activent tout de même à une juste redistribution des ressources. Cependant, ce sera difficile vu la force des institutions civiles.
Pas de démocratie sans démocrates
Déjà à son époque, l’Osagyefo Kwame N’Krumah- les panafricanistes oublient qu’il fut un despote- avait maille à partir avec le président de la Cour suprême au point de vouloir le destituer.
On a beau critiquer les institutions issues de la colonisation de perpétuer le système colonial à travers les structures mises en place, il est indéniable que le Ghana a su profiter de l’héritage culturel britannique en permettant le développement d’une société civile forte dont les actions permettent de corriger les contradictions post-coloniales.
Le jeu des dirigeants de la Commission électorale le montre assez bien que si l’enracinement de la démocratie dépend de la puissance des institutions, il n’y a pas de démocratie sans démocrates.
Les institutions ont besoin de personnalités à la psychologie forte, intègres, compétentes, pour s’opposer à toute forme de tyrannie.
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