Par Richard Attias, président de Richard Attias & Associates, fondateur du New York Forum Africa
Alors que se termine cette semaine le 23e Sommet de l’Union africaine, il me parait important de partager quelques messages et pistes de réflexions et d’actions évoquées tout récemment à Libreville, au Gabon a l’occasion de la 3eme Edition du New York Forum Africa qui a rassemblé cette année plus de 1600 participants dont 600 jeunes de moins de 26 ans.
L’Afrique réelle n’est pas l’Afrique perçue. La “marque” Afrique souffre encore d’un déficit d’image auprès des acteurs économiques et financiers étrangers. C’est ce qu’ont révélé plusieurs intervenants du New York Forum Africa 2014.
Cette perception a été confirmée par une récente étude du cabinet McKinsey, réalisée auprès de 1500 dirigeants. Tout en reconnaissant les bons fondamentaux économiques de l’Afrique, ces derniers en attendent plus de stabilité et de visibilité.
Enfin, la jeunesse africaine expatriée et locale, bien qu’optimiste sur son avenir, doute encore des efforts accomplis par les Etats pour l’intégrer pleinement à la croissance. En ouverture du Forum, la première étude panafricaine sur les opportunités offertes à la jeunesse, a apporté un éclairage inédit sur les ressentis et les attentes de la jeune génération.
Faut-il donc en conclure qu’il reste à l’Afrique plus de chemin à parcourir en matière économique qu’elle n’en a déjà accompli ? Sa croissance est-elle fragilisée par des conflits incessants et menacée par l’instabilité politique et sociale chronique ?
De nombreuses personnalités présentes au New York Forum Africa 2014 ont apporté des réponses concrètes et chiffrées à cette interrogation. Il se dégage de ces contributions que le verre est en réalité à moitié plein et non à moitié vide. Cependant, les décideurs engagés dans la transformation du continent et les observateurs attentifs doivent faire preuve de pédagogie et les Etats de cohérence et de réassurance pour changer les perceptions. C’est ainsi que l’Afrique atteindra son objectif : ne plus être regardée de haut, parfois encore malheureusement avec commisération, ne plus être considérée avec réticence, comme un continent à haut risque.
L’Afrique bénéficie de fondamentaux économiques solides.
En dix ans, l’Afrique a doublé son PIB, en moins de temps qu’il n’en a fallu à la Chine. Le PIB par habitant africain est aujourd’hui supérieur à celui de l’Inde qui compte davantage de populations pauvres. Le taux de croissance moyen annuel s’établit à 5,5%, ce qui fait envie au monde développé et aux BRICS, qui ont ralenti.
En 2013, l’Afrique a attiré 52 milliards de dollars d’investissements étrangers selon le rapport d’Ernst & Young sur l’attractivité du continent. IFC membre du groupe de la banque mondiale et important investisseur américain, est passé de 140 millions d’investissements par an sur le continent en 2003 à 5,3 milliards en 2013, un montant qui se rapproche de celui investi en Amérique latine (un peu plus de 6 milliards).
La Chine investit massivement en Afrique, on le sait, dans les minéraux rares, les énergies. Mais elle y implante aussi des usines de fabrication. C’est par exemple le cas en Ethiopie, qui connait une croissance annuelle moyenne de 10,6% depuis plusieurs années.
En effet, les troubles qui perturbent la région Asie, comme ceux de la Thaïlande ou du Vietnam, lui font préférer la stabilité de pays stables comme l’Ethiopie. C’est ici l’occasion de tordre le cou à une autre idée reçue : l’Afrique n’est pas, dans son ensemble, un continent en proie aux conflits. 100 millions de personnes sont directement concernées par les guerres, ce qui est beaucoup et génère de très grandes souffrances humaines. Mais ce chiffre est à rapporter à la population globale du continent qui représente plus d’un milliard, soit moins de 10% de la population totale. Du strict point de vue de l’analyse des risques financiers, le continent n’est pas globalement incertain sur ce paramètre.
L’Afrique veut désormais piloter son développement à son avantage
La population africaine doublera d’ici 2050 pour atteindre quasiment 2 milliards d’individus, tandis que la population urbaine devrait passer de 400 millions aujourd’hui à plus d’1,2 milliards. Cette explosion démographique fait du continent africain une “réserve de ressources humaines et de revenus potentiels” très convoitée. Mais elle pose aussi le problème de satisfaire en priorité les besoins de ces populations en développant les infrastructures économiques et sociales qui permettront d’accompagner cette formidable jeunesse. C’est le choix de l’Afrique aujourd’hui.
Il est de fait que pendant les quinze dernières années, l’Afrique a opéré un rattrapage de croissance qui n’a pas ou peu bénéficié aux populations locales. Les activités extractives ont généré un tiers de la croissance du continent, notamment grâce à l’augmentation des prix des matières premières. C’était indispensable. Cependant, ces activités ont surtout créé de la valeur financière non de la valeur économique productrice d’emplois industriels. La croissance moyenne annuelle de 5,5% ne s’est pas traduite par un accroissement significatif d’emplois stables, selon le cabinet McKinsey. Il n’a pas dépassé les 0,5% de moyenne annuelle. En 2003 les emplois stables représentaient 70 millions. En 2014, ils ne sont que 110 à 120 millions. Des activités ont certes été créées, mais les nouveaux emplois se situent essentiellement dans le secteur tertiaire et sont précaires. L’entreprise informelle est dominante et l’emploi reste agricole, à 50%.
L’Afrique veut passer d’un développement producteur de croissance à une économie productrice d’emplois.
L’enjeu du continent dans les prochaines décennies est à la fois celui de l’industrialisation et de la diversification économique. Les Etats les plus moteurs – Ghana, Angola, Mozambique, Maroc, Ethiopie, Rwanda, Gabon – ont bien compris que la croissance africaine devait être à la fois inclusive, diversifiée et compétitive. Inclusive, parce que la stabilité politique et sociale, outre la justice, passe par l’accès à l’éducation, l’emploi, l’entrepreneuriat, la sécurité alimentaire. Diversifiée, parce que les seules activités extractives ne peuvent pas porter une croissance économique durable. Compétitive, parce que la compréhension de la logique des chaînes de valeur globales a progressé en Afrique. Les Etats cherchent à fonder leur développement sur la construction d’avantages concurrentiels durables. On peut ainsi prendre l’exemple du Gabon, 4eme producteur mondial de manganèse qui s’est donné pour objectif d’exploiter et de transformer lui même 35% de son minerai d’ici 2025. On peut débattre sans fin du réalisme du chiffre ou du faible intérêt conjoncturel des investisseurs étrangers pour les activités de transformation. Ce qui est déterminant ici est la volonté du Président Gabonais de mettre en oeuvre une stratégie industrielle durable permettant d’ajouter de la valeur à une ressource naturelle rare, en la transformant localement.
Les Etats africains prennent leur industrialisation en main
L’ambition du Gabon est partagée par de nombreux pays. Elle est exemplaire d’une conscience claire des Etats : celle du double manque à gagner financier que constitue la vente à l’état brut de leurs ressources naturelles à des pays tiers; D’une part, parce que les négociateurs des Etats africains ont longtemps manqué des connaissances leur permettant de négocier à leur avantage ces transactions internationales complexes, d’autre part, parce que le produit transformé est revendu au pays plus cher ultérieurement. Outre à financer ses propres équipements, le Gabon a ainsi établi une société d’exploitation nationale et modifié son code minier. Les compagnies multinationales exploitantes des sources d’énergie et des minerais auront désormais maille à partir avec les compagnies nationales qui se structurent pour attirer les investisseurs localement. Nul doute que le bras de fer sera violent, mais la détermination africaine est solide.
L’Afrique ne se contente pas de se réapproprier ses ressources minières et agricoles. Elle regarde aussi vers le futur. Elle sait qu’elle détient des sources d’énergie renouvelable (hydraulique, solaire, vent) dont la plupart ne sont exploitées qu’à 3 ou 5%. Certains intervenants du NYFA ont également évoqué la nécessité de protéger les données privées, les “big data”, provenant de la navigation des populations africaines sur le net fixe et mobile. Aujourd’hui, les géants étrangers du net les captent et les monétisent sans que les Etats et les opérateurs locaux y aient accès.
L’industrialisation passe évidemment par le financement des infrastructures économiques et sociales nécessaires. Les besoins sont immenses : routes, rail, ports, énergies, infrastructures de communication, logements, formation… Mais là encore, les Etats mettent en place des fonds souverains pour rassurer la communauté financière internationale sur leur engagement à long terme. Ces fonds permettent également de dégager les capacités de co-investissement en PPP dans les infrastructures aux côtés des investisseurs étrangers. Enfin, ils stimulent l’émergence d’un tissu local d’investisseurs privés. Par ailleurs Les flux commerciaux et financiers intra africains ne cessent d’augmenter en valeur et en volume. Ils sont le prélude à une dynamique d’intégration régionale favorable au financement de grands projets.
En annonçant la création d’un fonds dote a terme de 500 millions de dollars pour financer des projets dans le domaine des media et de l ‘entertainment tout en accompagnant, la formation des journalistes africains, Youssou N’Dour et moi-même avons incité l’Afrique à changer de regard sur elle même et à parler de sa propre voix.
L’Afrique ne doit pas se réveiller. Elle est en éveil et en mouvement. Le regard porté sur le continent doit se transformer pour la saisir dans la réalité de sa transformation effective. L’Afrique ne veut plus qu’on la regarde de haut. C’est à un face à face qu’elle invite la communauté économique et financière internationale.
Par Richard Attias, président de Richard Attias & Associates, fondateur du New York Forum Africa
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