Deux résultats proclamés de la même élection en l’espace de 48 heures : telle est la réalité que présente la situation politique au Togo, une semaine après la tenue de l’élection présidentielle. La Commission électorale nationale indépendante (CENI) constituée sur une base paritaire entre la majorité et l’opposition est divisée. Cette situation devrait poser un problème juridique dont dépend toute la suite du processus électoral. Le Temps fait le point avec un analyste politique, spécialiste des questions électorales, M. Dany Ayida, Directeur des programmes de l’organisation américaine NDI (National Democratic Institute).
Deux questions majeures se posent avec le théâtre qu’offre le Togo aux yeux du monde entier au lendemain de son scrutin présidentiel. La première concerne cette commission électorale constituée sur une base politique. Selon M. Ayida, « plusieurs pays en Afrique ont adopté ce type de commission électorale, dans un souci d’implication des principaux acteurs des processus électoraux. Dans certains pays comme le Bénin et le Burkina Faso, en plus de la majorité et de l’opposition la commission électorale comprend aussi des représentants des organisations de la société civile. Ceci a l’avantage d’éviter que les débats de la CENI se transforment en une lutte entre deux intérêts difficilement conciliables. Au Burkina Faso, c’est la société civile qui préside la CENI et ses démembrements ».
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La crise actuelle avec la scission de la CENI entre les représentants du pouvoir et ceux de l’opposition est caractéristique des limites de cette composition, soutient Dany Ayida. En effet ajoute cet expert togolais « la Commission électorale de par ses attributions est assignée à des tâches techniques. Ce n’est pas une mission politique que de gérer des opérations de vote, sur la base d’un fichier électoral informatisé, en application d’une loi électorale qui normalement devrait refléter la volonté générale ». Les Togolais se rappellent du cas d’Awa Nana qui, en 1998, face à la pression due à la défaite plausible du général Eyadema avait été contrainte à la démission.
Les CENI politiques font de moins en moins recette en Afrique, indique Dany Ayida. « En Afrique de l’Ouest, les commissions électorales présentées comme des références sont celles du Ghana et récemment du Nigéria. Dans ces deux pays, les CENI sont des structures techniques dotées d’autonomie financière. Les présidents ont rang de responsable d’institution. M. Kwadio Afari Gyan du Ghana a été une autorité respectée qui a organisé des élections à la tête de la Commission électorale, soldées par des alternances politiques. Le président de l’INEC du Nigéria vient aussi d’administrer une bonne leçon d’intégrité dans le même sens. »
Mais au Togo, quelle est la légitimité d’une CENI qui ne parle plus d’une seule voix ? La question ne semble pour l’instant préoccuper personne, mais elle n’est pas anodine. Selon M. Ayida, « l’acte de proclamation des résultats provisoires par le président de la CENI en solo pose des problèmes sur le double plan politique et juridique. Normalement, tout électeur togolais est fondé à attaquer devant les juridictions cette décision, quant à sa légalité. Les représentants de l’opposition au sein de la commission électorale peuvent faire de même. ». Mais l’on sait que le groupe CAP 2015 ne fait pas confiance à la cour constitutionnelle qu’elle croit inféodée au régime… Pour Dany Ayida, cette position est discutable : « pourquoi soumettre sa candidature à cette juridiction pour ensuite lui dénier toute légitimité quant à la sanction finale ? La position de CAP 2015 est politique, mais elle peut aussi la fragiliser aux yeux de la communauté internationale, à moins que cette coalition trouve d’autres parades dans les jours à venir. Mais la portée politique de la stratégie de Jean-Pierre Fabre et ses camarades, c’est qu’au fond, le Togo n’a plus de CENI ; alors se pose la question de la valeur des résultats proclamés».
La situation créée par les deux résultats proclamés par deux parties de la CENI est cependant remarquable quoiqu’atypique. « La crise est plus profonde que cela, admet Dany Ayida. Les deux composantes de la CENI qui proclament deux résultats différents ne sont pas dans la légalité. Nous sommes donc dans une situation de fait dont les conséquences doivent être tirées. A défaut d’une saisine par une tierce partie, les juges de la cour constitutionnelle peuvent décider d’apprécier la forme dans laquelle les résultats ont été proclamés et demander à la CENI de revoir sa copie. Mais j’ignore si les Togolais au sein de cette cour ont ce courage. Et puis quel est le sort des résultats proclamés par la CENI version CAP 2015 ? Seront-ils soumis à l’appréciation de la cour constitutionnelle ou d’une autre entité ?». La question reste posée. En attendant, les militants de l’ANC célèbrent le « vrai président » Jean-Pierre Fabre, en espérant que les choses se passent autrement qu’en 2010 où ils ont manifesté pendant 4 années sans que rien n’ait changé.
C’est demain dimanche que la cour constitutionnelle togolaise devrait rendre publics les résultats définitifs de l’élection présidentielle. CAP 2015 a décidé de ne pas faire de recours, donc la cour n’aura qu’à se prononcer sur les chiffres publiés par Taffa Tabiou, le président de la CENI version UNIR.
Le feuilleton continue…
Joséphine BAWA
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