Sortie de crise au Togo : faut-il entrer dans une 5ème république ?

« La 2ème et la 3ème république ont été dominées par un homme, son corps de métier et sa famille politique. La 4ème république qui était censée corriger cette anomalie a plutôt conduit au renforcement de la mainmise de la famille biologique de ce même homme, de sa famille politique et de son corps de métier sur toutes les institutions du pays ».

Dès Octobre 1992, date de l’adoption de la Constitution de la 4ème République, les partisans du régime militaire togolais n’ont eu de cesse de soutenir que cette Constitution était écrite CONTRE une personne, en l’occurrence le président d’alors, Gnassingbé Eyadéma. Il leur fallait donc tout faire pour corriger cette « injustice ». À ce jour nous n’avons pas fini de voir l’ampleur de leur sens de justice et tout porte à croire qu’on en a pour longtemps.

1) En octobre 2002, les partisans du régime ont donc « toiletté » la Constitution pour, selon eux, corriger ce qu’ils qualifiaient de péché originel. Ce faisant, ils ont réécrit la Constitution POUR Eyadéma.

2) Le 5 février 2005, à la mort d’Eyadéma, les mêmes personnes ont nuitamment modifié la Constitution (précédemment toilettée) POUR avantager une personne : le fils de Eyadéma.
3) Le 8 mai 2019, toujours les mêmes personnes ont modifié – ou charcuté – la Constitution toilettée qu’ils avaient précédemment modifiée POUR garantir le règne à vie et l’impunité à une personne : le fils de Eyadéma.

Trois fois c’est beaucoup. C’est donc devenu une tradition qu’au Togo, sous la 4ème République, on ne modifie la Constitution que POUR une personne, en l’occurrence quelqu’un de la famille Gnassingbé. À ce rythme, il n’est pas loin le jour où la même Constitution sera modifiée POUR le petit-fils ou la petite-fille de Gnassingbé Eyadéma. 
Si l’alternance que les Togolais souhaitent du fond de leur cœur se réalisait en 2020, et que les nouvelles autorités décidaient d’un retour aux dispositions intégrales de la Constitution de 1992, il est certain qu’une partie des Togolais, c’est-à-dire ceux qui sont actuellement aux affaires, trouveraient encore que cette Constitution est écrite non plus CONTRE Eyadéma (puisqu’il est mort), mais sûrement cette fois CONTRE sa famille biologique, ou un corps de métier ou une ethnie, et on reprendra sûrement le même chemin de croix, le même cercle vicieux dans lequel le Togo serait perdant.
Une Constitution manifestement écrite POUR une personne a les mêmes conséquences qu’une constitution supposée être écrite CONTRE une personne: les deux Constitutions manquent d’équité. La Constitution de la 4ème République à laquelle les partisans du régime ont reproché d’être CONTRE une personne n’a jamais été modifiée pour corriger cette faute supposée, mais POUR avantager la même personne ou son entourage. En clair, cette Constitution n’est plus impersonnelle et tout porte à croire qu’elle ne le sera plus jamais. En tout cas pas tant que les partisans et héritiers d’Eyadema existeront dans l’arène politique ou détiendront le pouvoir.

Le constat est le suivant : la 2ème et la 3ème république ont été dominées par un homme, son corps de métier/frères d’armes et sa famille politique. La 4ème république qui était censée corriger cette anomalie a plutôt conduit au renforcement de la mainmise de la famille biologique de ce même homme, de sa famille politique et de son corps de métier sur toutes les institutions du pays. Lorsque la solution supposée devient elle-même un problème, il va sans dire qu’il faut songer à une autre solution.

Je sais que contrairement aux Constitutions des 1ère, 2ème et 3ème république, la Constitution de la 4ème république a été obtenue de haute lutte ; elle charrie donc une charge émotionnelle forte au point que pour certains, renoncer à une telle Constitution serait une trahison de tous ceux qui ont perdu la vie, tous ceux qui se sont sacrifiés pour la voir naître et prospérer. Ce serait pour certains, concéder une défaite face au régime militaire. Mais il faut aussi se rendre à l’évidence : les multiples réformes constitutionnelles ou « charcutage » ne sont plus susceptibles de sortir le Togo de sa profonde crise politique.

Je pense donc qu’on ne doit pas exclure un débat sur une nouvelle Constitution. Et son élaboration par une Assemblée Constituante. Pas pour capituler face aux détenteurs du pouvoir actuel, mais pour reposer les bases de la république, tâche nécessaire à la construction d’une société plus équitable pour tous. 

Je sais que certains remarqueront, entre autres, qu’une nouvelle Constitution avec les mêmes acteurs aura le même effet que l’actuelle Constitution et que le problème demeurera tant qu’il n’y aura pas alternance à la tête du pays. Pour ma défense, je maintiendrai qu’une nouvelle Constitution a plus de chances de mener au renouvellement de la classe politique et à l’alternance que ne le ferait l’actuelle Constitution, devenue un marchepied pour la classe dirigeante. Pourquoi j’y crois ? Parce que visiblement sous le coup des réseaux sociaux, les Togolais ont changé, aussi bien envers les dirigeants qu’envers ceux qui aspirent à les remplacer. La veille citoyenne a changé. Comme disent certains, « le Togolais d’aujourd’hui n’est pas le Togolais d’hier ».

Nota Bene : Cette réflexion s’inscrit dans le débat sur une sortie de crise au Togo, mais elle ne propose pas une solution miracle. Je prie donc tous ceux qui soutiennent la position défendue ici de toujours relativiser et d’être ouverts à d’autres propositions toutes aussi pertinentes. Merci de l’avoir lue.

A. BEN YAYA

New York, le 8 septembre 2019

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