Dialogue : Retour d’un ancien combattant nommé Mgr Fanoko Kpodzro  

Mgr Philippe Kpodzro, ancien président du HRC

Le prélat togolais poussé à la démission en 2007,  Mgr Fanoko Kpodzro, rend publique une déclaration à la  veille du dialogue intertogolais qui suscite beaucoup de polémiques.

A la veille du dialogue intertogolais sous l’égide la CEDEAO, l’archevêque émérite Mgr Philippe Fanoko Kpodzro  a tenu un point de presse au cours duquel il a rendu public un document de 27 pages portant sur la sempiternelle crise togolaise.  «Cette contribution de Fanoko Kpodzro au Dialogue politique togolais en préparation», fait couler beaucoup d’encre et de salive, en  espérant qu’il ne fera pas couler le sang et  aidera quelque peu voire beaucoup à la compréhension globale de l’histoire récente du Togo.

Le document  se décline en trois inégales parties : une première concerne un  court récit autobiographique de son parcours académique jusqu’à son ordination houleuse en 1976 comme évêque d’Atakpamé, première confrontation avec le régime Eyadema ; une seconde partie sur la période chaotique du régime de Transition ; et une troisième curieusement structurée autour d’attendus  et une  proposition de sortie de crise.

 La «contribution» comporte des idées intéressantes et d’autres moins bonnes.

Tout d’abord la partie la plus commentée par la presse  touche les propositions d’issue  au dialogue. Le prélat exige le retour à la Constitution de 1992, envoie Faure Gnassingbe à la retraite en 2020, tout en  jetant une pierre dans le jardin des dirigeants de la coalition  par une mise en garde contre d’éventuelles trahisons des aspirations populaires lors des discussions. Il en sait un brin des mœurs de la classe politique ; l’homme qui parle a dirigé la Conférence nationale souveraine (juillet-août 1991)  et présidé le Haut Conseil de la République (HCR), parlement du régime de Transition. A l’issue de la Conférence nationale, le Togo vivait un régime parlementaire d’exception qui a réduit le dictateur Eyadema, après  22 ans de pouvoir sans partage,  au rôle honorifique de simple reine d’Angleterre. Selon sa constitution, le régime de transition devrait  rédiger une nouvelle constitution, organiser des élections multipartites  et mettre le pays sur la voie d’une démocratie libérale. Par des coups de force militaire, des assassinats politiques, et des massacres, la restauration militaire d’Eyadema a mis fin à la gestation de la démocratie togolaise.

Les propositions d’issue de crise que prône Mgr Kpodzro  sont somme toute en phase avec les exigences de la Coalition  des partis de l’opposition et du Front Citoyen Togo Debout, fer de re-lance de la société civile. Elles sont un peu la reprise de la symphonie inachevée du régime de Transition. Rebelote donc.

Vie religieuse et transition

Cependant, le limon de cette déclaration niche dans les 24 premières pages, où entre autobiographie express et vie du régime de transition (août 1991-1992),  Mgr Fanoko Kpodzro  décline l’une des périodes les plus douloureuses et obscures de notre histoire, et  nous fait découvrir le comportement de certains acteurs.  Le dialogue, on l’aura compris, n’est qu’un prétexte pour faire opportunément un retour mémoriel  sur une phase obscure du régime de Transition.

A défaut d’écrire ses mémoires, le vilain défaut de tous les hommes et femmes politiques ayant fait l’expérience de cette époque, Mgr Kpodzro fait donc une déclaration en guise de témoignage, avec en écho les soubresauts, les brouhahas, les bruits de botte. Ce témoignage se subdivise en deux chapitres, l’un consacré  à son enfance et son ministère, l’autre à sa participation à la Transition, et un tiers chapitre plutôt anecdotique.

Dans ce premier chapitre, le récit, rapide, intense, nerveux, participe de la douleur de l’auteur qui a vécu assiégé par  les «pièges insidieux» des «mauvais esprits » et «autres esprits des ténèbres». Une santé extrêmement fragile l’a par exemple malgré une constitution physique forte, privé d’un parcours académique avancé, sans compter plusieurs interventions chirurgicales, des empoisonnements en tous genres qui émaillèrent sa vie.

Son ordination en 1980 comme évêque d’Atakpamé se heurte à une violente opposition de la part du pouvoir d’Eyadema. S’il finit par l’emporter, c’est tout de même après presque cinq années «d’exil à Lomé» qu’il rejoint son diocèse. Un témoignage vivace de la coexistence conflictuelle entre l’Eglise de Rome et le régime militaire du parti unique RPT, parti-Etat. Monseigneur Kpodzro s’est peu appesanti sur les raisons de cette opposition du régime. Il a juste relayé une anecdote du général Eyadema, protestant lui-même, qui confiait avoir agi contre lui sur suggestions des «catholiques ».  Le lecteur est sevré d’en savoir plus long sur les tenants et aboutissants de cette intrusion de l’armée et du pouvoir politique temporel dans les affaires religieuses. Est-ce Mgr Casimir Dosseh-Anyron archevêque de Lomé et /ou des frères de l’ethnie Akposso qui ont ourdi ce complot ? Quels ont été ses rapports avec le défunt archevêque de Lomé ?

Vient alors le second chapitre sur la période de la Transition.  Mgr Kpodzro est revenu dans un premier temps sur les moments forts de la Conférence nationale, surtout les tentatives de sabotage du général Eyadema. Cette partie abonde en révélations étonnantes. Par exemple, le premier évêque noir du Togo, Mgr  Dosseh-Anyron s’est retrouvé comme Missi Dominici d’Eyadema chargé de transmettre la demande d’arrêter les travaux de la conférence nationale. On découvre en filigrane une forte amitié voire complicité entre Eyadema et le premier archevêque de Lomé. Pour quelles raisons ?

Mgr Kpodzro a également relaté la période tourmentée de la Transition pendant laquelle il présidait le Haut Conseil de la République (HCR). Un récit vivace sur la déstabilisation violente et méthodique  faite de coups de force militaire  contre le Premier ministre Joseph Kokou Koffigoh, le HCR et les assassinats en tous genres.

Peu avare en révélations, Mgr porte l’estocade au Premier ministre Joseph Kokou Koffigoh, ni plus ni moins accusé de trahison.

«Je téléphone au Premier Ministre pour solliciter son intervention libératrice. Celui-ci me chargea de dire aux membres du Haut Conseil de promettre d’abord qu’ils cesseraient désormais de le critiquer, et alors seulement, lui aussi se chargerait de défendre leur cause. Je repris le téléphone pour redire les propos du Premier Ministre au Président de la République», raconte  l’archevêque émérite  au moment où l’on demandait à Koffigoh d’intercéder en faveur des Haut-conseillers pris en otage.

Manque de recul

Quelles considérations donner à ce document de l’archevêque poussé à la démission en août 2007 ?

Tout d’abord, il y a une interrogation sur la forme. On ne peut passer sous silence le timing de l’exercice solitaire de Mgr Kpodzro, certes, archevêque émérite mais non moins membre de la Conférence des Evêques du Togo (CET),  et qui devrait donc à ce titre attendre la réaction de la hiérarchie catholique à la veille du dialogue. La CET du Togo ayant déjà fait une déclaration au début de la crise dans laquelle elle se rangeait au côté du peuple togolais, la sagesse commanderait que l’on attendît qu’elle se prononcât sur le dialogue surtout que le médiateur en chef, le président ghanéen  Nana Akufo-Addo, devait tenir une rencontre avec les représentants de l’Eglise ce dimanche 18 février. La sortie de Mgr Kpodzro ne risque-t-elle pas d’embarrasser l’Eglise ?

Monseigneur Kpodzro est coutumier des sorties tonitruantes. Il y a peu, il demanda la révision de l’hymne nationale. Une demande qui fit sourire les ténors de l’Eglise mais qu’on mit peut-être sur le compte de l’âge. Il y a manifestement chez ce vieillard un problème avec la discipline et l’Eglise ne sait vraiment pas comment le recadrer. Il est vrai que l’Eglise elle-même se retrouve prise au piège de son apolitisme de principe alors qu’elle règne sur des communautés en souffrance morale et matérielle du fait d’une mauvaise gouvernance politique. Sur le plan médiatique, elle ne dispose par exemple d’un journal digne de ce nom comme le quotidien La Croix pour informer les fidèles, et sa télé et sa radio ne sont que des relais de radio Vatican. Dans ce cas, les religieux les plus couillus se permettent d’intervenir, un peu comme Kpodzro !

Ensuite, le document en soi est un miroir de la scène politique togolaise. Presque trente ans plus tard,  le temps n’a eu aucune empreinte sur le récit de Mgr Kpodzro, qui fait preuve de manque de recul patent et d’absence d’autocritique. L’humeur, la passion, le sentiment voire le ressentiment de l’archevêque émérite demeurent intacts comme s’il vivait encore en direct les événements. Cela n’est-il pas regrettable ? Et les images le montrant à la télé en train de taper du poing sur la table dénotent le comportement d’une personnalité passionnée voire irascible.

Par exemple, sur le coup de force du 3 décembre, l’ex-président du HCR n’a pas eu la présence d’esprit de faire amende honorable. S’il reconnaît que la dissolution du RPT fut à l’origine ou servit de prétexte à Eyadema de perpétrer le coup de force contre le Premier ministre Koffigoh, le prélat n’avoue pas que c’était une faute politique de la part des députés. Le Togo est le seul pays où au cours d’une transition démocratique l’on a procédé à la dissolution de l’ancien parti unique, parti-Etat. Comment comprendre cette aberration ? L’objectif semble-t-il était de mettre la main sur le fameux magot constitué par les prélèvements obligatoires du RPT. Mais, ce faisant, le HCR a pris le risque de mettre en danger le régime de transition. Ils n’ont pas appris évidemment leçon de la Conférence nationale,  et saoulés de leur propre verbiage révolutionnaire, ils ont manifestement présumé de leur force, tout en méconnaissant l’adversaire !

De même son accusation contre l’ancien Premier ministre manque de recul et de hauteur. Les propos qu’il attribue à l’ancien chef de la Transition, s’ils sont avérés, sont plutôt caractéristiques  d’un dirigeant qui n’a pas agi homme d’Etat, qui à une heure fatidique où se joue le destin de la Transition, essaie de régler des comptes comme un garnement de cour récréation. Certes, le PM Koffigoh choisira le camp d’Eyadema à un moment donné, mais il était déjà ostracisé et  la Transition moribonde, et des interrogations subsistent encore quant à cette dernière orientation.

Choisi par défaut pour présider la conférence nationale- Eyadema voulait Mgr Dosseh-Anyron et l’opposition, Mgr Dovi Ndanu, plus imprégné des réalités politiques du pays- Mgr Kpodzro n’a jamais paru maîtriser les débats. Ayant une histoire personnelle chargée avec le régime (son ordination), coupé des affaires politiques comme il le souligne dans le document, Kpodzro n’était pas la personne idoine pour diriger la conférence nationale. On a encore en mémoire, la méconnaissance totale de la scène politique dont il faisait preuve, ses préventions à l’égard du parti au pouvoir, et le fait de se faire chaperonner par l’opposition. A une motion dans la salle de conférence, Kpodzro ne répondait-il pas : «Est-ce que la proposition est de nature à arranger l’opposition ?»

Démons et compagnies

Autre incongruité relevée dans ce document abondé d’anachronismes, l’analogie entre la situation du Mexique- pays ravagé par le trafic de drogue et les assassinats-  et celle du Togo, et la conviction faite de Mgr Kpodzro que le pays est sous l’empire des démons. Il a fait plusieurs illustrations par des anecdotes croustillantes : les premiers dirigeants du pays auraient fait des sacrifices «diaboliques». Olympio aurait confié, par exemple, le pays aux mânes des ancêtres à l’indépendance tandis que Grünitzky aurait lui fait un sacrifice humain. Quant à Eyadema, païen de chez les Païens, il ne fut absolument pas épargné. Pour Mgr Kpodzro, pour conjurer le mauvais sort de la dictature et de ses méfaits, il faut exorciser le pays ! Un peu comme hier, Awa Nana et ses sbires ont à l’instigation du pouvoir commis une semaine de purification nationale !!!

Des considérations somme toute qui laissent penser que Mgr Kpodzro pourrait être un catholique réactionnaire et intolérant, au moment même où le Pape François  demande aux populations des pays post-coloniaux de ne pas abandonner leurs coutumes !!!

Le fait est que, à l’instar de nombreux Togolais, Mgr Kpodzro, trouve exceptionnelle la situation du Togo, au point de lui trouver des origines paranormales. Et pourtant, dans l’histoire de l’humanité, il y a eu toujours des individus ou des groupes d’individus qui font les malheurs de leurs concitoyens sous prétexte de les diriger.

En dernière analyse, il ne faudrait tout de même pas jeter le bébé avec l’eau du bain. Il y a dans cette sortie des idées bonnes. Et malgré un manque de profondeur, le document est considérable. Mgr Kpodzro a certes manqué de faire une grande œuvre à l’histoire en laissant ses mémoires. Néanmoins, il laisse un document pour les générations présentes et futures de creuser pour comprendre l’histoire récente du pays. Il jette  une pierre dans le jardin de certaines personnalités politiques et religieuses de la place,  invite ainsi les autres politiques qu’il est temps d’écrire leurs mémoires pour qu’on sache ce qui s’est réellement passé. C’est un appel à un devoir de mémoire

Article à lire sur  www.afrocites.com

A propos Komi Dovlovi 1013 Articles
Journaliste chroniqueur, Komi Dovlovi collabore au journal Le Temps depuis sa création en 1999. Il s'occupe de politique et d'actualité africaine. Son travail est axé sur la recherche et l'analyse, en conjonction avec les grands  développements au Togo et sur le continent.

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