Election présidentielle : Les 5 raisons de l’échec de CAP 2015

Au-delà des manifestations, conquérir le pouvoir d'Etat

Les jeux sont faits. Croire que l’opposition (participationniste) réunie dans la coalition CAP 2015 pourrait tenter et réussir à renverser les rapports de forces de l’élection présidentielle du 25 Avril serait une vue de l’esprit. Il n’y a rien de nouveau sous le ciel du Togo. La grande leçon qu’on tirerait de l’aventure, en attendant que la cour constitutionnelle ne rajuste la partie décimale des scores attribués aux cinq candidats, c’est qu’on a fait beaucoup de bruit pour rien. Alors que les observateurs s’attendaient à de véritables joutes sur le terrain, pendant la campagne électorale, durant le processus de centralisation et de proclamation des résultats provisoires et après, il n’en est rien. Après avoir suivi les derniers développements et en recoupant les informations auprès des différents acteurs sur le terrain, on peut analyser les causes de l’échec de l’opposition suivant cinq portes d’entrée.

1. Absence de stratégie de veille et de surveillance électorale

Pour qui a suivi le scrutin présidentiel de 2010, on devrait s’attendre à plus de préparation du parti ANC et de son leader, par ailleurs chef de file de l’opposition. Le mot d’ordre de la campagne de Jean-Pierre Fabre était que cette fois-ci, il n’allait plus se laisser faire et que tout était mis en œuvre pour déjouer les fraudes. Sur le terrain, on n’a rien vu de consistant. A part la ville de Lomé, de la préfecture du Golfe à Cinkassé, on n’a pas vu un réel dispositif d’implication dans les mécanismes de vote et dans l’observation des opérations électorales. Cette faiblesse se situe tant sur le plan humain que sur le plan technique.

La présence de l’opposition dans les démembrements de la CENI laissait à désirer. D’après nos sources, ceux et celles qui répondaient au nom des candidats de l’opposition n’étaient pas des personnalités de poigne capables de résister aux pièges du pouvoir. Cela s’est manifesté également dans les bureaux de vote. Des délégués de l’opposition ont été soit chassés gentiment, soit soudoyés. La plupart n’avaient pas reçu de formation.

2. Faible maillage du territoire national et coordination déficitaire

Il  n’y a pas eu de la part de CAP 2015, une organisation systématique de la gestion des opérations sur le terrain, en liaison avec le quartier général de la campagne. La grande « famille » de l’opposition a manqué d’esprit de gagne pendant cette consultation. Au Nord Togo, où le pouvoir s’est comporté en terrain conquis, les candidats Fabre, Gogué et Tchassona auraient pu combiner leurs efforts pour réduire la nuisance d’UNIR. Mais il n’en a rien été. Il a fallu attendre le lendemain du vote pour voir Gogué faire un clin d’œil à son ancien allié Fabre ; trop tard.

L’opposition n’a pu faire un zonage intelligent du pays pour disposer dans chaque région de personnes capables de jouer le rôle de commissaire et gérer les opérations de la région avec plus d’efficience. Elle s’est fié à des représentants locaux, sans grande envergure et dont certains n’étaient pas à l’abri des atours des représentants du pouvoir.

Il va sans dire qu’en matière de gestion des résultats, les choses ont été plus que improvisées. Nous ignorons si ANC a pu organiser un système de compilation et de traitement des données électorales. Au niveau du Comité d’accompagnement où ces données ont été promises, elles sont toujours attendues.

3. Boycott d’une partie de l’opposition

Quand on examine le taux d’abstention dans les différentes régions, il va crescendo de Lomé vers les Savanes.  Les chiffres des observateurs de la société civile sont plus parlants. La participation est très faible à Lomé (moins de 53%) et monte au fur et à mesure qu’on se dirige vers le Nord. Le pic est atteint dans les régions de Kara et Savanes (plus de 87%). On a eu droit à une abstention record.

Deux facteurs expliquent cette situation : l’appel au boycott lancé par une partie de l’opposition (le CAR et le Front Tchoboe notamment) d’une part et la démotivation de l’électorat de l’opposition due aux multiples incohérences dans ce groupe d’autre part.

Depuis 1993, l’opposition togolaise ne s’est montrée aussi hétéroclite pendant une élection présidentielle. Non seulement les partis les plus importants (ANC, CAR, CDPA, ADDI) était ouvertement opposés les uns aux autres, mais la société civile à travers les organisations de défense des droits humains s’étaient engagés contre la tenue du scrutin en l’absence de réformes politiques. L’opinion nationale en a été blasée. Dans le Yoto, les leaders du CAR auraient ouvertement battu campagne contre l’ANC… Dans Tabligbo, un bureau de vote a réalisé moins de 10% de participation. C’est du jamais vu au Togo !

4. Un système de truquage bien rôdé par UNIR

Le parti UNIR n’était pas convaincant, ni par ses réalisations ni par les multiples promesses de son candidat. L’astuce de battre campagne sur le thème du changement n’était pas suffisant pour gagner les voix des Togolais, en leur faisant accroire que celui qui refusait d’assumer d’être l’héritier d’Eyadema n’était pas redevable des ratées des 48 années  passées d’errements.

UNIR, agissant comme le RPT depuis 1993 le savait et avait pris les dispositions. Le parti a investi de gros moyens de l’élection, en misant sur l’intérieur du pays, abandonnant Lomé à Jean Pierre Fabre, comme un os à un chien. Nous avions expliqué comment ce parti a réussi à maximiser ses chances par l’achat de consciences et le vote par dérogation. Ce dernier système de fraude aurait été abondamment utilisé dans les régions Plateaux, Centrale, Kara et Savanes et en partie dans la Maritime, notamment Avé, Zio et Haho. Ainsi beaucoup d’électeurs qui n’avaient pas de pièce d’identité ont voté avec la seule carte d’électeur, ce qui n’était pas permis. Les délégués des candidats de l’opposition n’y ont vu que du feu !

Des électeurs devenus de plus en plus véreux (comme leurs dirigeants) n’ont pas hésité par endroit à monnayer leur vote. Ainsi nous a-t-on rapporté que des personnes prenaient le soin de photographier le bulletin de vote marqué pour le candidat du pouvoir (à l’aide de leur téléphone), pour se faire rétribuer entre 2000 et 5000F.

5. Méconnaissance de la géopolitique sous régionale

Le dernier couac dans l’amateurisme des responsables de CAP 2015 se trouve dans la gestion du contentieux électoral, en rapport avec l’implication des dirigeants de la CEDEAO et des représentants de la communauté internationale. Jean-Pierre Fabre en face d’Alassane Ouattara et John Mahama a fait pâle figure.  Il a allégué des « fraudes massives » dont il n’était capable d’avancer un commencement de preuve. Le rapport de force a basculé en moins de deux heures le mercredi 28 Avril, lorsque les deux dirigeants finirent de discuter avec la CENI après les représentants de CAP 2015. UNIR et sa CENI ont trouvé un boulevard pour proclamer leur résultat.

Le Comité d’accompagnement avec à sa tête le Général Sangaré a été vite déçu de constater que les opposants au régime criaient à la fraude sans détenir de preuve. Il a vite fait d’abandonner ses exigences de faire valider les résultats par les procès-verbaux contradictoires revendiqués par CAP 2015 et son bouillant représentant à la CENI Francis Pedro Amunzu.

En vérité, cette opposition n’avait rien fait pour peser sur l’implication de la communauté régionale dans le processus électorale. Fabre n’avait développé aucune relation avec les dirigeants de la sous-région, contrairement à ce que font beaucoup d’opposants actuellement dans les autres pays.

Une fois encore, l’opposition politique togolaise a raté le coche, en laissant des blessures qui seront difficiles à cicatriser. Nul ne sait par qui et comment le bilan sera fait. Mais engager une revendication du pouvoir  après le mélodrame, apparaitrait comme une déloyauté aux yeux de la communauté régionale et internationale. Et au Togo, plus grand-monde ne croit à cette stratégie d’éternels perdants.

Agboglati (letempstg@gmail.com)

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