Justice et réconciliation: Livre Blanc et chantage du gouvernement

Le Conseil des ministres vient d’adopter  un avant-projet de Livre Blanc, feuille de route de l’application par le gouvernement des recommandations de la Commission Vérité Justice Réconciliation (CVJR). Une bonne nouvelle si le communiqué du Gouvernement ne laissait pas transparaître une intention velléitaire de conditionner la réussite de la mise en oeuvre des recommandations à la bonne coopération « aussi bien [des] acteurs politiques, [des] acteurs de la société civile que [de] l’ensemble des citoyens. » Une forme de chantage à quelques mois de la présidentielle 2015 pour prévenir tout mouvement social et politique. Les victimes, elles, attendent toujours d’être indemnisées.

Deux ans après la publication du rapport des activités de la Commission Justice Vérité Réconciliation, les recommandations de la CVJR tardent à être concrétisées, surtout le point concernant l’indemnisation des victimes. C’est ce que rappelle dans une lettre au chef de l’Etat, la Plateforme Citoyenne Justice et Vérité (PCJV).

Selon la Plateforme Citoyenne Justice et Vérité (PCJV), une plateforme d’organisations dites de la société civile, sur les 68 recommandations, seules quatre ont été mises en œuvre :

 la suppression de la fête du 13 janvier ; la création du Haut  Commissariat à la Réconciliation et au Renforcement de l’Unité Nationale (HCRRUN) ; le remplacement à la tête des institutions publiques de personnalités impliquées dans les violations des droits de l’homme ; affectation de la responsabilité de la mise en œuvre des 68 recommandations de la CVJR à un spécifique notamment celui des droits de l’Homme.

Et la PCVJ recommande vivement au chef de l’Etat :

  • la publication rapide de Livre Blanc censé traduire l’appropriation, par le gouvernement, des recommandations de la CVJR et tracer le chronogramme pour leur mise en œuvre ;

  • la nomination des membres du HCRUUN et son opérationnalisation;

  • la création d’un Fonds d’aide à la réconciliation afin d’octroyer aux victimes identifiées et recensées par la CVJR une juste et équitable réparation ;

  • l’adoption des réformes institutionnelles et constitutionnelles par l’ensemble de la classe politique et sous votre impulsion, pour poser les bases du renouveau et de la revitalisation des institutions consensuelles de garantie de l’Etat de droit au Togo.

 

Le chantage du gouvernement 

Fort opportunément, et d’ailleurs par pur opportunisme, craignant peut-être d’être accusé d’attentisme et de mauvaise volonté,  le Conseil des ministres du 03 avril 2014, à l’occasion de ce second anniversaire de la publication dudit rapport, a consacré « essentiellement » son ordre du jour  « à l’examen et à l’adoption de l’avant-projet de Livre Blanc du gouvernement sur les recommandations de la Commission Vérité Justice et Réconciliation(CVJR). »

faure gnas

Selon le communiqué du Conseil des ministres, avec l’avant-projet de Livre Blanc, « le Gouvernement vient de franchir une étape décisive dans le processus de mise en œuvre des recommandations de la CVJR » tout en  ajoutant qu’il « dispose désormais d’un outil précieux pour poursuivre le processus de réparations, tant dans son volet social que politique. »

Rien n’indique la date à laquelle cet avant-projet de Livre Blanc sera rendu effectif, quand on connaît la lenteur du gouvernement à exécuter les recommandations de la CVJR. Les réformes constitutionnelles et institutionnelles ne sont pas encore appliquées, et la justice togolaise retarde l’instruction des dossiers de plaintes des victimes des violences d’avant, pendant, après la présidentielle d’avril 2005.

Faure Gnassingbé prend d’ailleurs beaucoup de précautions si le projet n’aboutit pas. Et il pose de manière sibylline des conditions, à en croire la teneur de ce communiqué écrit avec toutes les précautions du monde :

Il convient toutefois de noter que la mise en œuvre effective des recommandations de la CVJR est un processus participatif qui n’est pas à la seule charge du Gouvernement.

Elle concerne aussi bien les acteurs politiques, les acteurs de la société civile que l’ensemble des citoyens.

Comment comprendre cela ? Le Togo est 12 mois d’une présidentielle qui n’est pas sans danger. Faure Gnassingbé, candidat virtuel à sa propre succession- la constitution actuelle ne le lui interdit pas après l’exercice d’un second mandat, est confronté à la volonté de son opposition et d’une majeure partie des organisations dites de la société civile, de réaliser des réformes constitutionnelles et institutionnelles urgentes à travers un dialogue politique inclusif. Ce que refuse le pouvoir qui voudrait faire les réformes par le parlement, où il détient une écrasante majorité issue d’élections contestées.

C’est aussi dire les difficultés pour mettre en œuvre les recommandations d’une CVJR que Faure Gnassingbé a mise sur pied, sous la contrainte, pour donner des gages de bonnes volonté à la communauté internationale, suite à son arrivée au pouvoir chaotique, dans une démarche macabre ayant occasionnant la mort de plus 400 à 500 personnes. Le président est arrivé au pouvoir suite à un coup d’Etat militaire d’un quarteron d’officiers, les intérêts militaires et civils qui l’ont porté à la présidence détiennent encore les leviers du pouvoir.

L’exécution des recommandations de la CVJR serait quand même d’assurance que le Togo est en voie de transition pour clore le chapitre du pouvoir militaro-civil et déboucher sur un régime démocratique. Son échec constituerait la preuve du contraire.

Depuis 1967, le Togo est dirigé par un gouvernement militaro-civil gravitant autour de la famille Gnassingbé.

 

 

A propos Komi Dovlovi 1013 Articles
Journaliste chroniqueur, Komi Dovlovi collabore au journal Le Temps depuis sa création en 1999. Il s'occupe de politique et d'actualité africaine. Son travail est axé sur la recherche et l'analyse, en conjonction avec les grands  développements au Togo et sur le continent.

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