La diaspora togolaise doit-elle aussi « faire son 19 août » ?

La diaspora a les cartes essentielles pour changer la donne politique actuelle au Togo

Par A. Ben Yaya, activiste, acteur du changement au Togo

« Nous sommes nés perfectibles ; nous ne serons jamais parfaits : la perfection, comme le statu quo, serait notre mort. » Pierre-Joseph Proudhon, De la Justice dans la Révolution
 
Dans un récent échange que j’ai eu avec un compatriote après la publication des chiffres sur l’aide financière que la diaspora togolaise a apportée à la C14 au cours de l’année 2018, je relevais qu’en dépit de cette contribution, de nombreux acteurs de cette diaspora considèrent que l’opposition dans son ensemble méprise leur apport dans la lutte. Dans certains cas, face aux prises de position de la diaspora, des responsables de la C14 se sont fendus du slogan désormais célèbre : « venez prendre les devants si vous pensez avoir raison ».
 
Mon interlocuteur répondit : « Je ne vous comprends pas, vous les activistes et Togolais de la diaspora. Vous croyez que c’est en critiquant ou en proposant que vous allez changer les choses ? Non, c’est en prenant vous-mêmes les choses en main ».
 
Mais, répondis-je à mon interlocuteur, « pour quelqu’un qui vit dans la diaspora, les critiques et les propositions pour faire aboutir cette lutte ne sont-elles pas une forme d’action » ? 
 
« Non, non et non, me rétorqua-t-il. Si c’était une action concrète qui a un impact, personne ne vous dirait de rentrer prendre les devants de la lutte. Je parle d’une action qui clouerait le bec à tous ceux qui ridiculisent vos propositions. Écoute, si Atchadam avait fait comme vous, c’est-à-dire passer son temps à critiquer ou à proposer des stratégies aux opposants qui étaient là avant lui, il n’y aurait pas eu de 19 août. Lorsque Atchadam avait fait des propositions de mobilisation populaire au chef de fil de l’opposition d’alors, et que ce dernier lui a répondu du bout des lèvres, Tikpi a reculé, puis a sauté. On connaît la suite. C’est à ce type d’action que vous les gens de la diaspora devez penser. Pour vous faire écouter et respecter par la classe politique togolaise, vous devez poser un acte similaire à celui que le PNP avait posé le 19 août 2017. Vous devez vous aussi faire votre 19 août ! »
 
Faire son 19 août ! L’expression était lâchée et elle venait d’un aîné, un ami de longue date, un connaisseur de la politique togolaise, une personne que je considère comme un mentor politique. Le 19 août, à l’instar du 5 octobre, marque le jour où la dictature togolaise a été ébranlée, secouée, remise en cause et obligée de revoir sa gestion du Togo. Tout comme le 5 octobre, le 19 août est devenu une date référence dans la longue marche du Togo vers sa libération du joug de la dictature militaire. Mais quelle signification donner à « faire son 19 août » ? Est-ce nécessaire aujourd’hui que la diaspora le fasse ? Sans trop verser dans le symbolisme, je vois deux raisons et deux manières par lesquelles la diaspora peut « faire son 19 août ». 
 
Primo, le 19 août 2017 a mis fin à un mythe, celui selon lequel le nord du Togo est acquis au pouvoir de manière indéfectible, car depuis 1991, c’est au nord que le régime avait réussi à faire sortir des chiffres magiques pour expliquer ses « victoires électorales ». Mais depuis l’épisode électoral de décembre 2018 qui a vu un taux d’abstention record dans ce nord et dans l’armée, l’autre mythe qui subsiste est celui selon lequel le régime aurait le soutien indéfectible de la communauté internationale, un peu comme ce fut le cas du nord du Togo avant le 19 août. La diaspora togolaise est actuellement la seule force capable de s’organiser pour détruire ce dernier mythe d’un régime chouchou de cette communauté. Elle connait cette communauté et saura mieux l’engager et la faire pencher.
 
Secundo, de l’avis des analystes, le 19 août 2017 a permis une redistribution des cartes dans le paysage politique togolais. L’opposition togolaise était à bout de souffle à la suite des deux faits politiques marquants de la décennie : le virage de Gilchrist Olympio en 2010, et le 3ème mandat de Faure Gnassingbé en 2015. Les acteurs politiques étaient confinés dans des rôles définis par le régime : d’une part un camp présidentiel s’arrogeant tout, et d’autre part une opposition jouant les seconds rôles, identifiable à une seule tête et amadouable à merci. Il ne restait qu’aux acteurs politiques de jouer ces rôles pour l’éternité, et tout autre acteur politique, aussi futé soit-il, ne devait que s’attendre à jouer un rôle tertiaire, voire insignifiant. C’était le rêve du régime, et nombreux étaient ceux qui au sein de l’opposition s’en accommodaient. Le 19 août est venu chambouler tous ces plans et permis à son initiateur, ainsi qu’à de nouveaux acteurs, d’avoir voix au chapitre. 
 
À y regarder de près, l’opposition togolaise est dans la même situation d’impasse et de seconds rôles qu’à la veille du 19 août, et il faudrait un événement du genre 19 août pour la sortir de son inertie, car il n’y a jamais deux sans trois. Je ne vois d’autres acteurs capables de cet exploit que ceux de la diaspora. Pourquoi ? ­
 
Parce que ce sont ces acteurs de la diaspora qui estiment que leurs approches de solution à l’énigme togolais – comment faire tomber la dictature – sont peu ou pas du tout prises en compte. L’histoire nous montre qu’au début de chaque révolution, on retrouve un groupe de personnes frustrées et marginalisées par les acteurs principaux du statut quo, comme la diaspora togolaise l’est aujourd’hui, et comme le PNP l’a été avant le 19 août. De plus, pour faire aboutir une révolution, il faut une capacité financière ; en l’état actuel des choses, seule la diaspora peut mobiliser une telle capacité financière sans être soupçonnée de fréquentations douteuses. 
 
La diaspora a donc les cartes essentielles pour changer la donne politique actuelle au Togo : mettre fin au dernier mythe auquel le régime s’accroche, et favoriser la fin du statut quo par l’émergence d’acteurs différents.Tout le reste n’est qu’une question de volonté. Merci cher mentor de m’avoir inspiré ! Mais en réalité, c’est chaque Togolais qui doit faire son 19 août.
 

A. Ben Yaya
New York, 6 février 2019 
 

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