Pascal Bodjona, un an après sa libération

Libéré le 09 avril 2013, l’ancien numéro 2 du régime reste dans l’attente, longue et désespérante à mourir, d’une décision de justice sur son cas, alors qu’il souhaite revenir en politique. A 12 mois de la présidentielle de 2015, Pascal Akoussoulèlou Bodjona paraîtrait l’option la plus redoutable pour affronter Faure Gnassingbé, originaire comme lui de la Kozah.

Finalement, où en est le dossier Pascal Bodjona ? Il y a un an, jour pour jour, la justice togolaise, ou tout simplement Faure Gnassingbé, décida, à la surprise générale, de la libération de Pascal Bodjona, tout-puissant ministre de l’Administration territoriale, de la décentralisation et des collectivités rurales, prétendument numéro 2 du régime RPT-UNIR. L’ancien numéro 2 était arrêté le 1er septembre 2012 et détenu à la gendarmerie nationale de Lomé dans l’affaire dite d’escroquerie internationale, dans laquelle fut aussi impliqué l’ancien PDG d’Elf, Loïc Le Floch-Prigent. Une ténébreuse affaire dans laquelle la justice s’est faite retoquée à plusieurs reprises sur certaines déviances de la procédure. Les trois personnes impliquées dans l’affaire d’escroquerie d’un homme d’affaires émirati du nom d’Abass El Youssef, sont aujourd’hui toutes en liberté provisoire.

PASCAL bodjona

Néanmoins, la chute de Pascal Bodjona était tellement imprévisible que l’on avait cru que le régime de Faure Gnassingbé pourrait en pâtir. Que nenni. Même s’il est devenu pour l’occasion l’opposant virtuel numéro 1 du président de la République.

Depuis sa libération, l’ancien activiste du HACAME, ce mouvement de tontons macoutes étudiants qui semaient la terreur sur le campus, au début des années 1990, parmi leurs camarades rebelles au régime Eyadema, s’est terré dans le mutisme. Selon ses proches, Pascal Bodjona passe son temps entre la maison et son bureau de la LCF (La Chaîne du Futur), et lit régulièrement la biographie de grands hommes. Des lectures qui l’ont certainement aidé à ripoliner son profil, lui dont le passé d’ancien activiste tintait de nombreuses casseroles indécrottables.

Prépare-t-il son retour  sur la scène politique ? Voici ce qu’il déclarait à sa sortie de son cageot de la gendarmerie, le 12 septembre dernier :

La politique, personne ne peut m’empêcher de la faire. On ne s’improvise pas en politique ! Quand on est devenu un homme politique, on s’y attache. Mais il faut s’y attacher avec des options. Je peux me permettre de continuer à croire que le dialogue a été l’option du président de la République. C’est pourquoi je lui demande, face à cette grogne sociale et politique, de faire attention et qu’il s’élève en bon père de famille, et qu’il puisse engager cette nation dans la voie d’un dialogue sincère, pour l’apaisement des cœurs et s’attacher au développement du pays.

La politique est donc son biotope, il s’y trouve dans son élément. La politique, ce fils de militant nationaliste- son père Antoine, alors Commandant de cercle de Kloto, fut la seule autorité publique à demander le 14 janvier 1963 à la population de se soulever contre l’assassinat du président Sylvanus Olympio- est tombé dedans tout petit, même s’il est passé par des voix tortueuses que rejetait feu son père. Ce père qui ne fut pas à un paradoxe près, lui qui, militant nationaliste, est allé boire,  dès les premières heures du processus démocratique, à la table d’Edem Kodjo et de son Unité togolaise pour la démocratie (UTD), avant de tourner casaque quand ce dernier chipa la primature à Me Yawovi Agboyibo, pour rallier les rangs de l’Union des forces de changement (UFC) de Gilchrist Olympio. D’ailleurs en 2007, il prit ses distances avec ce parti quand l’UFC refusa de participer au gouvernement d’union dirigé par Me Yawovi Agboyibo.

Tout comme son père, Pascal Bodjona n’est pas à un paradoxe près. Activiste du HACAME, il était très proche d’Hilaire Logo Dossouvi, le héros du 05 octobre. D’ailleurs ne venaient-ils pas de se séparer quand ce dernier fut arrêté en septembre 1990 pendant l’affaire de la distribution des tracts, après dénonciation d’un militant interpellé par les services des renseignements ? Il présente d’autres contradictions qui font de lui un politicien redoutable et redouté par ses adversaires.

Cependant, son come-back en politique envisageable et souhaité par certains partis au sein de l’opposition,  ne serait pas pour le moment à l’ordre du jour. Libéré à la surprise générale, Pascal Bodjona bénéficie en réalité d’une libération provisoire- disons conditionnelle. L’affaire reste pendante devant la justice, une justice qui traîne des pieds pour poursuivre la procédure alors que l’ancien ministre disait à sa sortie avoir « plus intérêt, aujourd’hui, à ce que cette procédure aille à son terme, pour qu’on [lui] dise à la fin ce qu’on [lui] reproche.  Cette affaire suspendue sur sa tête comme une épée de Damoclès, le tient pour le moment éloigné du théâtre politique. Pour preuve, depuis octobre 2013 où la cour suprême a reçu trois des quatre moyens du pourvoi en cassation de la défense de l’ancien homme fort du gouvernement togolais, on attend toujours le délibéré.

Pourtant, à l’heure où l’opposition, émasculée par des querelles byzantines, peine à trouver une solution idoine à la question de la candidature unique, Pascal Bodjona  constituerait objectivement un  adversaire redoutable pour Faure Gnassingbé, probablement candidat à sa propre réélection.

Sa stature d’homme politique s’est peaufinée au fil des années,  depuis mai 2005 quand il dirigea successivement la direction de cabinet du Président de la République où il mit le pied de Faure Gnassingbé à l’étrier, et le ministère de l’Administration territoriale et des collectivités rurales, où il mit en exergue ses qualités d’organisateur de la présidentielle de mars 2010 et ses dons de négociateur en arrivant à un consensus avec l’opposition sur la loi sur les libertés de manifestation publique. Depuis cette réussite, ces détracteurs n’ont pas eu de cesse de le soupçonner de rouler pour l’opposition…ou pour lui-même.

L’homme a de l’entregent et a tissé un réseau d’influences nombreuses à la fois sur le plan national et international, qui remonte de la franc-maçonnerie à la nébuleuse Françafrique. C’est d’ailleurs grâce à l’amicale pression des francs-maçons de la Grande loge nationale française qu’il a pu bénéficier de la liberté provisoire, et qu’il a pu réchapper d’une situation où il risquait de passer de vie à trépas.  Pour certains intérêts qui pourraient craindre à une chasse aux sorcière en cas d’alternance, il pourrait constituer une garantie. Et ses origines kabyè- il est de Kouméa- sont  une assurance pour certains cercles de l’armée. D’ailleurs sur ce plan,  pour la vieille garde du RPT que Faure Gnassingbé a mise sur la touche, Pascal Bodjona, qui lutta en vain contre la dissolution du parti, est un pion souhaité. Réformateur pour certains, conservateur pour d’autres, Pascal Bodjona constitue un énigme qui ne laisse pas indifférent. Ne sont-ce pas compte tenu de ces constats que Faure Gnassingbé, pressé par ses conseillers, le mit sans ménagement sur la touche ?

Pour l’instant, l’ombre plane sur le destin national de Pascal Bodjona s’il en a. Il faudra que Faure Gnassingbé lève l’hypothèque sur son avenir judiciaire.

 

 

 

 

A propos Komi Dovlovi 1013 Articles
Journaliste chroniqueur, Komi Dovlovi collabore au journal Le Temps depuis sa création en 1999. Il s'occupe de politique et d'actualité africaine. Son travail est axé sur la recherche et l'analyse, en conjonction avec les grands  développements au Togo et sur le continent.

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